10 – Göteborg > Torrbo (km 2500 – km 3160)

  • 2022/04/14 Göteborg – Stora färgen : 70 km
  • 2022/04/15 Stora färgen – Vårgårda : 43 km
  • 2022/04/16 Vårgårda – Hornborgasjön : 70 km
  • 2022/04/17 Hornborgasjön – Odensåker : 55 km
  • 2022/04/18 Odensåker – Igasjön : 57 km
  • 2022/04/19 Iglasjön – Vibysjön : 72 km
  • 2022/04/20 Vibysjön – Tysslingen : 51 km
  • 2022/04/21 Tysslingen – Örebro : 33 km
  • 2022/04/22 Örebro – Järle : 34 km
  • 2022/04/23 Järle – Kloten : 64 km
  • 2022/04/24 Kloten – Torrbo : 53 km

Mardi 12 Avril. Au moment de monter dans le ferry, nous rencontrons sur la piste qui nous mène dans les entrailles du bateau, un autre cycliste. Il nous salue en anglais et avec surprise, on se rend rapidement compte qu’il est français. Axel est breton et partage la traversée avec nous, avec le même objectif d’aller au Nord de la Norvège. Son projet est de relier la Bretagne au Cap Nord, puis de descendre vers Istanbul avec des étapes tournant autour de 100km (son projet en solo s’appelle « Expédition Gezisykell »).

Pendant notre traversée, de nombreux Fous de Bassan côtoient notre embarcation, et nous voyons de plus près les Macreuses noires en vol. A l’intérieur, les voyageurs poussent d’étranges chargements sur de petits diables à roulettes : des colonnes de pack de bières et d’alcool achetés au Duty free. L’alcool est probablement cher en Suède pour que cela en vaille la peine.

À la sortie du ferry, une gentille douanière nous laisse la voie libre en arrêtant les voitures et nous souhaite bon voyage. On se sépare au port de Göteborg et nous filons vers le Sud, Askim plus précisément, un quartier résidentiel où nous attend Geneviève. C’est une ancienne connaissance que la mère de Gabriel a recontactée à l’occasion de notre venue. Nous arrivons chez elle par une longue piste cyclable très agréable. Nous avons l’impression de retrouver quelque chose de l’Allemagne. L’ambiance des rues, les fleurs derrière les fenêtres, les immeubles colorés bardés de bois, la présence des cyclistes. La nouveauté est le relief ! Des monticules de granit émergent de partout et nous font changer de braquet régulièrement.

Geneviève nous accueille chaleureusement et nous faisons connaissance autour d’un apéritif puis d’un repas de spécialités suédoises pour nous mettre dans le bain. Nous apprenons beaucoup auprès de cette professeur de langue, sur les traditions et la manière d’être des Suédois. Cela nous aide d’avoir le point de vue d’une française qui vit en Suède depuis plus de quarante ans.

Le temps est pluvieux au réveil, aujourd’hui nous faisons un aller-retour en centre ville pour trouver des pièces de vélo, et visiter la vieille ville. Il nous faut un pneu neuf, car ceux de Gabriel ont dû être remplacés prématurément (un mauvais lot de Schwalbe Marathon plus?), et Marine redoute d’avoir les mêmes symptômes pour la suite. Deux nouvelles chaînes et du lubrifiant mécanique, et le plein est fait ! Nous passons notre dernière soirée avec Geneviève et partons avec ses encouragements, sous une petite pluie. Nous avons fait là une très belle rencontre, Geneviève fait maintenant partie du voyage, comme les autres personnes qui nous ont accueillis sur la route.

Nous apprivoisons la topographie suédoise dès la sortie de Göteborg. Après l’interminable zone portuaire en travaux, nous gravissons les collines et longeons des axes routiers peu protégés pour les cyclistes. Quand enfin nous rejoignons une piste cyclable, nous sommes soulagés. La pluie continue. On découvre les forêts de conifères et les petites maisons de bois peintes en rouge, collées sur d’énormes blocs de granit rose polis par les glaciers. Au niveau de Lerum, nous sortons enfin de la forêt et un abribus nous abrite le temps du déjeuner. L’après-midi est rude, cela fait cinq jours que nous n’avons pas pédalé et nos jambes le ressentent.

L’abri que nous avons repéré se trouve au bord d’un lac, seulement, on réalise qu’il faut pousser les vélos sur un sentier de randonnée pendant près d’un kilomètre et demi. On le tente tout de même. Nous peinons à avancer entre les arbres et les cailloux, les grosses flaques de boues et les racines qui glissent. Les vélos arrivent dans un état désastreux à l’abri de bois. Mais quelle vue ! Nous sommes seuls au monde, sur une petite pointe de terre hérissée de conifères, en avancée sur l’eau.

On profite de l’accès à l’eau pour nettoyer les vélos et les sacoches. Marine repère quelques Garrots à œil d’or et même des Harles Bièvres. Pendant le dîner, émerge de la brume une étrange silhouette, différente des espèces observées jusque-là. Un cou trapu, un bec en forme de poignard et le front bosselé, la gorge noire: c’est un Plongeon arctique qui avance vers nous ! Gabriel se précipite sur l’appareil photo. Un deuxième plongeons apparaît juste derrière le premier et contourne la pointe où nous nous trouvons. Ils rejoignent deux autres congénères et convergent les uns vers les autres jusqu’à presque se toucher. C’est une parade de printemps ! Quelques minutes plus tard, leur chant aquatique retentit sur le lac, c’est à en donner des frissons.

Chant du plongeon arctique par Lars Edenius

15 Avril. Réveil confortable à 8°C. Au moment du départ, après quelques mètres, Gabriel détecte un rayon cassé sur la roue arrière bien voilée (celle qui a été changée à Colmar et qui a roulé avec une hernie pendant 100 kilomètres). La réparation est obligatoire, surtout avec le terrain qui nous attend et le chargement des vélos. Nous avions heureusement des rayons de rechange, compatibles avec les nouvelles roues. Gabriel change le rayon et dévoile la roue avec l’aide de Marine. Nous nous servons des mâchoires de patins de freins comme repère de réglage. On avance jusqu’à Bälinge, et déjeunons adossés au mur de pierres sèches du cimetière. Nous pensions y trouver de l’eau mais les robinets sont fermés. Il va nous falloir acheter de l’eau minérale. A notre étonnement, elle est très chère (près d’un euro pour 1,5L). Nous ne savons pas où nous dormons ce soir.

Nous reprenons la route malgré tout, en comptant sur des portions de forêts repérées sur la carte. Malheureusement, nous avons oublié de prendre en compte une nouvelle donnée : le relief ! Les forêts ne sont pas d’immenses tapis de feuilles de hêtres comme en Allemagne mais des terrains hostiles, humides, jonchés de souches, de touffes d’herbes épaisses, de blocs de pierre, réduisant à néant tout espoir d’y planter une tente.

Première tentative sous une ligne haute tension, seule zone déboisée. Mais la surface libre que nous trouvons au sol est insuffisante. Deuxième essai plus loin sur un chemin forestier. On se contentera de cela en riant de notre piètre bivouac, plein de fourmis qui mordent. Quelques coups de feu retentissent en fin de journée, et l’on réalise que l’on campe à quelques mètres d’une tourelle de chasse. Espérons que les chasseurs ne débarqueront pas au petit matin.

La tente est givrée, la température dépasse à peine 1 degré. Deux Grands corbeaux ont fait leur nid sur un des pylones de la ligne haute tension. Nous pulvérisons notre record de moyenne: 17km/h sur la matinée jusqu’à la gare de Floby (prononcer «flobu»). Nous décidons de faire un détour de 17km pour se ravitailler à Falköping dans notre enseigne favorite (20 à 30% moins chère que les autres) puis nous filons vers le lac de Hornborga.

Juste avant d’atteindre le lac, nous recherchons un bivouac. Première tentative dans un bois labouré par les sangliers. Deuxième tentative derrière un abri pour chevaux près d’une aire de stockage de grumes (où l’on dérange un chevreuil). On pose les sacoches à l’endroit où il broutait tranquillement et Marine fonce à la réserve naturelle d’Hornborgasjön pendant que Gabriel garde les affaires.

Elle revient une heure plus tard le sourire jusqu’aux oreilles. La zone du lac est couverte de Grues cendrées et propose en plus une aire gratuite pour les campeurs en tente! On recharge de nouveau les vélos et partons planter la tente sur la grande pelouse qui surplombe la réserve. Près de six mille Grues cendrées font halte en ce moment d’après le décompte journalier. Le pic d’arrivée se situe plus tôt, pendant la première semaine d’Avril, où l’on en dénombre près de vingt mille. Elles côtoient de nombreux Cygnes chanteurs, des Grèbes à cou noir, et beaucoup d’oies également.

Elles font un raffut terrible. Imaginez une cour de récréation où on aurait distribué à chaque enfant une trompette en plastique. Ou encore un jam de free jazz avec des trompettistes en furie. Le spectacle est à son comble à la tombée du jour, quand les oiseaux rejoignent leur dortoir après avoir passé la journée à se nourrir dans les alentours. C’est à la fois assourdissant et merveilleux. Nous nous endormons dans cette joyeuse agitation, qui couvre presque le chant des Bécassines des marais volant au-dessus de notre tente. Les barrissements s’interrompent progressivement avec la nuit, et reprennent de plus belle vers quatre heures du matin : la nuit fut courte !

Le jour n’est pas tout à fait levé, il fait un degré mais nous ne pouvons résister à l’appel des Grues cendrées à l’aurore. Le son de cette foule nous sort de nos duvets et nous nous rapprochons des oiseaux. Il fait froid mais le spectacle en vaut la peine. D’autres ornithologues font aussi « le pied de grue », c’est le cas de le dire, et nous faisons connaissance avec deux français du Sud Ouest.

Deux retraités photographes et baroudeurs, dont un ancien agriculteur, passionnés de botanique et d’ornithologie. On les voit de loin inspecter nos vélos puis revenir vers nous. L’un d’eux est ancien coureur cycliste amateur et salue notre aventure. « Vous n’avez pas d’assistance électrique ? » C’est une question qu’on nous a posée plusieurs fois. On répond en plaisantant qu’ils fonctionnent simplement avec nos jambes et de la semoule. Ils ont rendez-vous avec d’autres oiseaux dans la taïga, plus au Nord ; le Grand tétra et les chouettes notamment, avec l’aide d’un ami qui les guidera dans la forêt.

Aujourd’hui, les arbres, les cailloux et cette route qui ondule comme une grande houle nous font penser à nos randonnées sur le plateau du Vercors. Nous arrivons à la réserve du lac de Östen en fin de journée et nous découvrons une plateforme d’observation au bout d’une route de granit rose concassé. A droite de la route s’étalent des champs striés de murs de gneiss sur lesquels viennent se poser des Traquets motteux. Devant nous s’étend une grande zone humide reflétant le ciel avec peu d’oiseaux. Quelques oies, une grue toute seule. On compte dormir dans le secteur, sur le parking juste en marge de la réserve, mais un visiteur arrive et il nous dissuade. Il est un peu tard, mais on reprend tout de même nos vélos pour trouver un endroit où nous serons plus tranquilles. On s’enfonce dans les bois, juste au Nord du lac, à moins de trois kilomètres. On peine à trouver un secteur plat mais cette petite butte traversée par des coulées d’animaux fera l’affaire. Nous commençons à tasser le terrain de mousse comme on le ferait avec des raquettes dans la neige. Un épervier vient se poser au-dessus de nous et décolle dès que l’on bouge de nouveau. La cime des arbres est encore dans le soleil et les sous-bois dans l’ombre. On se glisse dans nos duvets en écoutant les Bécasses des bois.

Aucun sanglier à signaler pendant la nuit et il fait 4°C dans la tente. Presque chaud, pas besoin de mettre les gants pour tout plier. Nous petit déjeunons sur les tables de la maison du parc à l’épais toit de chaume. Le Butor étoilé chante plus fort que la veille. Le soleil nous réchauffe et nous sommes survolés par deux Busards des roseaux. Nous retournons à l’observatoire de la veille pour voir s’il y a plus d’oiseaux. Deux pygargues à queue blanche sont perchés dans les arbres en bordure de la roselière mais ne bougent pas. Ce n’est pas encore l’heure de chasser. Les Traquets motteux sont toujours là, ainsi qu’une Bergeronnette printanière.

Nous choisissons l’itinéraire le plus joli, sur le réseau Sverigeleden (le réseau des pistes cyclables suédoises) et nous ne sommes pas déçus. Il démarre en passant par un tumulus datant de l’âge de Bronze, puis serpente dans les bois. Nous déjeunons dans un zone humide sur le lac de Viken, juste avant Beateberg. Nous avons l’intention de bivouaquer sur le plan d’eau de Iglasjön, que nous atteignons en début d’après-midi, au bout d’une piste sinuant dans une forêt de pins et de bruyère fânée. Les odeurs de résine nous rappellent les balades sur les versants sud du Diois. On profite des seaux à disposition dans les enclos à chevaux pour se laver et faire une petite lessive. L’eau reflète la forêt comme un miroir. Deux femelles de Garrots à œil d’or, seules habitantes du lac, viennent rider la surface. Quelques plaques de glace subsistent sur la rive. Le lieu est idyllique, peut-être un des plus beaux bivouacs du voyage que nous notons de cinq étoiles. Dans la longue-vue, un Pygargue à queue blanche vole très haut, ainsi que trois Balbuzards pêcheurs.

19 Avril. Nous sommes réveillés par le chant de l’Accenteur mouchet et du Troglodyte mignon venus se percher tout près. De petites pommes de pin tombent autour de notre table pendant le rangement. Nous reconnaissons un groupe de Bec-croisés des sapins, des oiseaux dont le bec est recourbé et se ferme comme des ciseaux, un bon outil pour chercher les pignons entre les écailles.

Nous avons soixante-dix kilomètres à faire dans la journée. Nous en avalons cinquante dans la matinée jusqu’à Askersund. Sur les quais du petit port, ce ne sont pas les pigeons qui viennent sous les tables picorer les miettes de sandwich, mais les Choucas des tours. Le plus intrépide vient se poser sur nos sacoches, comme pour mieux voir notre buffet. Les vingt derniers kilomètres sont bien plus difficiles, et nous mènent à la réserve de Vibysjön. A première vue, le coin n’est pas idéal, coincé entre l’autoroute et une route très fréquentée. Et le parking sert de déchetterie. On regrette notre lac de la veille. Une petite tour de bois se dresse dans le paysage. Elle sert d’observatoire et nous envisageons d’établir notre camp de base au dernier étage où nous serons à l’abri des regards et un peu plus à l’écart de la route. Nous tendons la bâche en prévision de la rosée et refermons nos duvets, au moment où quelques grues et un groupe d’oies atterrissent face à nous.

Les Grives musiciennes sont plus matinales que nous (elles s’y mettent à quatre heures du matin). Les oies et les grues sont reparties au moment où nous plions le camp. Un grand groupe d’une centaine d’Oies des moissons et cinq Oies rieuses débarquent. Un peu après, deux ornithologues déplient leur longue-vue en contrebas. C’est l’occasion d’échanger sur nos observations de la veille : des Pics épeichettes, un beau mâle de Busard des roseaux, des Sarcelles d’hiver, deux Canards souchets, un Cygne chanteur en vol, un Harle bièvre, un canard siffleur. « Avez-vous vu des limicoles » ? Un chevalier Gambette et quelques Vanneaux huppé, et huit Bécassines des marais. « Et le castor ? » Mince, on a loupé le castor, il était juste là dans le canal, derrière nous. Une des Oies des moissons est baguée, elle a un collier jaune autour du cou, mais impossible d’y lire un numéro. Les deux ornithologues tenteront d’élucider le mystère. La réserve est en cours de classement et d’extension. L’accès à la nature est une notion inscrite dans la Constitution suédoise et on ressent la volonté de sensibiliser les suédois à leur environnement dans toutes ces réserves aménagées que nous rencontrons. Nous sommes surpris à chaque observatoire, passerelle, plateforme, panneaux d’indications, maisons du parc avec musée et expositions…

Les bourgeons et les fleurs ouvertes sont encore rares. On a l’impression de vivre un Printemps éternel, comme si on remontait le temps à mesure que nous progressons vers le Nord.

Aujourd’hui, lors de notre troisième tentative pour trouver de l’eau, on rencontre un cyclo suédois à l’église de Knista. Il a fait le tour du grand lac Vättern et retourne chez lui à Örebro. Nous discutons un bon moment, sur notre voyage et le sien, sur notre matériel respectif. Grâce à lui, on sait maintenant qu’on peut trouver de l’eau potable dans les stations service.

Arrivée à Svalnässtugan en fin de journée, à une cabane sur la rive Ouest du lac de Tysslingen. C’est plus qu’une cabane, un vraie maison, et elle est ouverte. Gabriel fait le ménage et on s’installe à l’intérieur, enchantés par tant de luxe. Elle est meublé avec soin et très lumineuse. A 18 heures arrivent des gens qui nous informent qu’il ont réservé la maison pour une réunion. Elle est en effet ouverte au public le jour et soumise à réservation en soirée. On retire nos sacoches, un peu déçus, et projetons de planter la tente à côté. Nous sympathisons avec le groupe, qui nous assure qu’ils partiront à 21h et que nous pourrons bénéficier du lieu pour dormir.

On reprend alors possession des lieux dès leur départ. On s’endort rapidement. A 22H30, arrivent trois hommes qui ne parlent ni Suédois et à peine anglais, et déposent leurs bouteilles de vodka sur la table. Surpris par notre présence, ils prétendent avoir réservé. Marine soutient la même chose avec répartie, alors que Gabriel n’a pas émergé de son sommeil. Ils ne discutent pas trop et repartent rapidement prétextant qu’il y a dû avoir une erreur sur le planning. On découvre que le planning est effectivement visible en ligne sur le site de la commune et peut servir d’indice pour les opportunistes ne voulant pas s’acquitter de la réservation. On remballe tout de peur d’avoir d’autres visites nocturnes et pour être en règle car nous n’avons rien payé non plus. On plante la tente juste à côté, en pleine nuit. Dehors, tout compte fait, on entend mieux le chant du butor, celui des bécassines et les cris des grues.

Bécassines des marais (et Butor en arrière plan) par cyclopithecus
Butor étoilé par Romuald Mikusek

Le lendemain, nous nous dirigeons sur l’autre rive du lac, vers la maison du parc, qui abrite une belle exposition d’oiseaux empaillés. On réalise la taille du Pygargue à queue blanche, gigantesque. Les serres du plus grand rapace d’Europe sont aussi grandes que les mains de Marine.

Nous aurons l’occasion de l’observer en vol sur un des observatoire de la rive Est, avec un ornithologue local qui vient tous les jours noter les observations.

Nous faisons halte à Örebro pour nous ravitailler. On bourre les sacoches de semoule, de muesli, de chocolat, de fromage, de carottes, d’œufs et de concombre. Sans oublier le beurre de cacahuète. Les vélos sont lourds et il a même fallu sortir un sac à dos pour le surplus. Picnic dans un observatoire (encore un) sur le lac d’Örebro, dans la réserve de de Rynnineviken.

Nous traversons à nouveau cette ville, sur un itinéraire sans charme, pour rejoindre le camping. Nous atterrissons près d’un stade de foot recouvert de près de trois cent goélands cendrés qui couvrent les bruits de l’autoroute. Un grand blond borgne à la démarche boiteuse survient de nulle part et qui nous lance « I need cash », comme dans un film de gangsters. C’est le gérant du camping, il nous explique qu’il n’y a pas de quoi nous faire payer en carte bancaire, en nous accompagnant sur un emplacement minuscule. Il est boursoufflé par les racines de deux grands arbres et traversé en permanence par les enfants curieux des voisins. Les sanitaires sont mutualisés avec ceux du stade, dans un état de propreté relative. L’essentiel étant qu’il y ait de l’eau chaude. Les meilleurs bivouacs sont décidément ceux qui sont gratuits. Pour couronner le tout, Gabriel réalise qu’il a perdu les batteries de rechange de l’appareil photo. Nous nous réconfortons avec un bon plat mijoté dans la cuisine collective.

Farniente jusqu’à midi. La tente est criblée de fientes de Grives litornes qu’il va falloir nettoyer. Nous travaillons sur l’itinéraire des prochains jours et décidons de rejoindre la mer de Botnie par le réseau cyclable Suédois. Nous rejoindrons la côte plus tard que prévu pour des raisons de sécurité de circulation, mais cela nous permettra aussi de profiter d’autant plus longtemps de la forêt boréale. Nous sommes en effet en limite Sud de la taïga scandinave, ce nouveau biome que nous avons hâte de découvrir.

L’après-midi nous pédalons dans de grands espaces cultivés, qui alternent avec des sylvicultures de pins, les bétulaies (forêts de bouleaux), et des zones de coupes rases. Nous arrivons au « shelter du castor », prénommé ainsi par Marine d’après les nombreux troncs rongés à coups d’incisives. Cet abri est en bordure de la rivière de Jägler et constitue une halte pour le circuit de canoë. L’accès n’est pas aisé, et nous devons franchir les champs détrempés en poussant les vélos pour y parvenir. Avec le beau feu de Gabriel et la chandelle trouvée sur place, notre campement a des allures de de cabane de trappeur le long d’une rivière canadienne. Sans les ours, mais avec des mésanges à longue-queue qui sont de meilleure compagnie. Tellement mignonnes.

23 Avril. La matinée est difficile : notre progression est lente et ingrate car nous affrontons du vent de face et beaucoup de montées. Nous faisons le plein à la station service (essence et eau) et filons nous abriter du vent contre le pignon ensoleillé d’une église. Nous découvrons un nouveau revêtement de piste : la route-forestière-qui-colle. La poussière de granit qui recouvre les pistes est humide car le dégel est récent, et nous peinons à arracher à ces portions les quelques kilomètres qui nous séparent de la prochaine halte. Les plaques de neiges sont de plus en plus fréquentes sur le bas-côté alors que nous sommes en dessous des trois-cents mètres d’altitude. On croise de moins en moins de monde et on s’enfonce de plus en plus dans la forêt. Rarement, une boite au lettres sur le bord de la route nous indique qu’il y a tout de même des habitations isolées, quelque part. On imagine le degré d’isolement des habitants pendant l’hiver qui doit être aussi rude qu’en moyenne montagne chez nous.

Nous sommes épuisés et il nous reste encore sept kilomètres sur ces pistes en montagnes russes sur lesquelles il faut veiller en permanence aux nids de poules et aux graviers. Nous puisons dans nos réserves de bonbons sucrés et au bout du troisième nous arrivons enfin au lac de Kloten. Gabriel souffle que c’est une des plus belles choses qu’il ait vues devant le lac gelé bordé par la forêt.

La cabane de Katthällarna est sous les arbres près d’une avancée en granit polie qui plonge dans l’eau glacée. En regardant de près la surface d’eau entre la pierre et la glace, on peut percevoir un léger mouvement qui monte et qui descend. Comme si le lac respirait lentement. Trois bergeronnettes parcourent la surface en quête d’insectes sur les cristaux brillants.

On ne résiste pas à faire un feu pour nous réchauffer. Le regard dans le vide devant les flammes, nous ressentons le besoin de nous reposer après ces dix jours à pédaler sans repos. Il est indispensable de se mettre en quête d’un hébergement sur plusieurs jours dès le lendemain.

24 Avril, 3°C

« Ce matin je rêve que je suis en bivouac quelque part en montagne. Un doux roucoulement me berce. J’ouvre un œil, je suis dans notre abri en forêt en Suède, à moins de 300 mètres d’altitude, et le roucoulement est bien réel. Je m’extirpe en vitesse de mon duvet pour tenter de le localiser. Je sors en pyjama à travers la bâche qui protège notre shelter du vent. J’avance à pas de loup sur le tapis de myrtillers et de bruyère sèche qui craquent, et aperçois un point noir sur la neige. Je retiens mon souffle. Un Tétra lyre chante au milieu du lac enneigé. Je retourne chercher mes jumelles et la longue-vue, accroupie, tout doucement, et reviens sur place. Je me change en pierre, immobile et gelée, et profite de ce moment magique. »

Tétra lyre à travers la longue-vue

Marine revient à l’intérieur de l’abri, toute excitée par cette rencontre inattendue. Nous plions rapidement les bagages pour rejoindre le camping de Torrbo, à cinquante-deux kilomètres. Un Bouvreuil se perche sur un épicéa au début de notre parcours. Ces rencontres nous dotent à chaque fois d’une énergie nouvelle, un vrai moteur pour avancer malgré les difficultés (le vent, la qualité des pistes, les côtes raides, le froid, les douleurs musculaires…).

La pause de midi est à l’opposé de notre bivouac de la veille, qualifié du second pire spot déjeuner du voyage. La palme revenant à celui que nous avons fait en Allemagne, entre deux averses, une demi-fesse posée sur une glissière de sécurité dans les ronces, le long d’une voie ferrée.

Faute d’abri, nous nous postons derrière des conteneurs de poubelles pour nous protéger du vent glacial.

Sur les derniers kilomètres, nous croisons un coureur en ski-roues sur le bord de la route. Plus loin, lorsque que Gabriel prend en photo d’une vieille grange rouge, il réapparaît. On reprend alors la route. « on ne va tout de même pas se faire doubler par un gars en maillot moulant ». On accélère en moulinant tant bien que mal mais les claquements de ses bâtons sur l’asphalte se rapprochent. Quelques minutes plus tard, malgré nos efforts, il nous dépasse dans une côte avec un grand sourire complice, et nous le perdons de vue assez rapidement. On est finalement un peu soulagés car on peut maintenant reprendre notre rythme.

Nous arrivons enfin au camping de Torrbo, avec la promesse d’un repos longue durée, des douches chaudes à volonté, et des batteries chargées qui nous permettront de donner des nouvelles. Le camping est désert, la saison ne commence qu’au premier Mai (avec un mois de décalage par rapport au Danemark).

Le lac est encore gelé, une Grue cendrée s’égosille dessus toute seule. Et la forêt qui borde notre emplacement est remplie d’oiseaux. Pas de pluie annoncée pendant trois jours.

Merci Geneviève pour ton accueil chaleureux à Göteborg! Et bon vent à Axel de Gezisykell ! Merci à Erik de Natursidan.se pour nous avoir interviewés !

2 réflexions sur “10 – Göteborg > Torrbo (km 2500 – km 3160)”

  1. deschamps Hélène

    très chers Gab et Marine. C’est de loin que je vous suis (je n’ai lu que jusqu’au 1er avril) mais je vais essayer de vous retrouver plus régulièrement. Vous me faites totalement voyager, moi qui ne roule que dans un rayon de 50kms autour d’Alba, avec mon super vélo électrique. Vous êtes drôlement courageux d’avoir affronté le froid comme ça… Je rêve d’aller à la mer en vélo mais je n’ose pas le faire seule, et je n’ai pas encore trouvé le ou la compagne. Mais je ne désespère pas d’y arriver. Je pense très fort à vous et vous fais mille bisous. Hélène

    1. Oooh, merci Hélène pour ton message qui nous réchauffe bien dans cette fraîcheur suédoise! Nous sommes ravis de te transporter avec nous, ça nous encourage à continuer. Nous sommes certains que tu arriveras à monter le projet Alba-méditerranée, la ViaRhôna est pleine de promesses et de rencontres. On t’embrasse !

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