- 2023/02/18 Menglon > Eurre, 64 km : Top départ !
- 2023/02/19 Eurre > Alba-la-Romaine, 71 km : De la vallée du Rhône au Coiron.
- 2023/02/20 Alba-la-Romaine, 0 km : Halte chez Hélène.
- 2023/02/21 Alba-la-Romaine > Joyeuse, 65 km : Un petit détour dans le château de dame Florence.
- 2023/02/22 Joyeuse > Saint Remèze, 48 km : Dans le maquis-qui-pique.
- 2023/02/23 Saint Remèze > Sanilhac, 71 km : Des gorges de l’Ardèche à celles du Gardon.
- 2023/02/24 Sanilhac > Gallician, 56 km : Du Gardon à la petite Camargue.
- 2023/02/25 Gallician > Pont de Rousty, 42 km : Les étangs de Camargue avec Emmanuelle.
- 2023/02/26 Pont de Rousty > Salin-de-Giraud, 50 km : Rencontre improbable en plein mistral.
- 2023/02/27 boucle autour de Salin-de-Giraud 37 km : Les baisses et la plage de Piémanson.
- 2023/02/28 Salin-de-Giraud > Port Camargue, 73 km : Traversée du delta du Rhône.
- 2023/03/01 Port Camargue, 0 km : Repos chez les Syklopattes.
- 2023/03/02 Port Camargue > Villeneuve-lès-Maguelone, 48 km : Cités balnéaires labyrinthiques.
- 2023/03/03 Villeneuve-lès-Maguelone > Portiragnes, 75 km : De passage à Sète.
- 2023/03/04 Portiragnes > Gruissan, 55 km : Découverte de la côte audoise.
- 2023/03/05 Gruissan > Port Leucate, 52 km : Suivi migration et arrivée à bon port.
Notre hivernage au pied du Vercors aura duré deux mois, deux petits mois à faire décanter notre aventure scandinave, revoir notre famille, et reprendre des forces pour un nouveau départ à la découverte de l’Espagne.
Cette fois, nous repartons sur de nouvelles montures, conçues « à la carte » par MW-cycles et dont on vous détaille les caractéristiques sur un article dédié. Plusieurs fois repoussé, nous fixons enfin le jour J au 18 Février. Ce départ a une toute autre saveur que le premier, où nous sautions le pas de la vie à vélo ; car après 12 000 kilomètres d’expérience en itinérance, nous avons maintenant plus d’assurance sur les questions matérielles, et avons toute confiance dans nos nouveaux vélos.
La première étape le long de la Drôme a des airs de déjà-vus car nous avions emprunté la vallée pour aller vers le Nord. Au terme d’une cinquantaine de kilomètres, sous un soleil de bonne augure et le chant des Fauvettes à tête noire, nous arrivons dans la réserve naturelle des Ramières en marge de laquelle nous choisissons de bivouaquer au calme. Comment est-ce qu’on monte la tente déjà ? Nous avons beau l’avoir plantée près de trois cents fois l’année dernière, les réflexes se sont vite perdus auprès du poêle à bois cet hiver !
Dimanche 19 Février. Cinq degrés sous la tente au réveil. Nous arrivons sur le Rhône vers onze heures, à la hauteur de la passerelle de Printegarde. Nous aurions pu choisir de filer en Camargue sur la via Rhôna mais nous avons opté pour un itinéraire plus corsé par l’Ardèche que nous voulions explorer. C’est surtout pour rendre visite à Hélène, la tante de Gabriel, qui vient à notre rencontre à vélo dans l’après-midi, un peu après Rochessauve. Nous grimpons avec elle jusqu’au plateau du Coiron pour redescendre sur Alba-la-Romaine. Nous faisons une courte pause devant le beau village de Sceautres, installé au pied d’un « neck », résidu magmatique ayant résisté à l’érosion, puis rendons un petite visite à Julien, le cousin de Gabriel, sur la parcelle de jardin dont il a bien l’intention de faire un paradis pour l’été. Hélène nous ouvre les portes de sa maison de pierre volcanique dans une petite ruelle d’Alba et nous transférons nos sacoches sous les voûtes de ce foyer chaleureux.
Lundi 20 Février. A peine deux jours de vélo et nous sommes déjà bien fatigués. Le dénivelé de la veille, le changement de rythme, et la nervosité des préparatifs nous ont bien épuisés. Aujourd’hui nous vivons donc au ralenti, et passons la journée en famille, agrémentée d’une belle randonnée sur les hauteurs d’Alba, sous un soleil écrasant. Et s’il faisait trop chaud lorsque nous descendons vers l’Espagne ? Faudra-t-il renoncer si la sécheresse et la canicule s’invitent sur le parcours ?
Mardi 21 Février. Hop ! De nouveau sur les routes d’Ardèche, sous la grisaille. Après une dizaine de kilomètres laborieux sur une route-à-camions, nous rejoignons la vallée de l’Ibie, où nous suivons les courbes du cours d’eau à sec. Des perdrix rouges s’envolent sur notre passage, suivi d’un épervier. Nous apercevons les premiers Grosbecs-cassenoyaux dans les cimes des arbres effeuillés. À la hauteur de Lagorce, la première Fauvette mélanocéphale du voyage sonne l’heure du pique-nique, face à une friche qui se révèle très intéressante pour toutes sortes de passereaux. Nous poursuivons vers Ruoms puis gravissons le plateau calcaire de Chapias avant de redescendre sur Joyeuse.
Nous tenions à faire un petit détour par Joyeuse pour rendre visite à Florence qui co-anime Allô la planète, la web radio des voyageurs, où nous avions fait une apparition lors de notre ascension vers les contrées arctiques. Florence nous ouvre les portes du château de Joyeuse où le studio de la radio est installé, et nous explique le fonctionnement de cette aventure qui implique nombre de bénévoles à travers le monde. Nous prolongeons la discussion jusqu’au salon de thé du square et repartons même avec un petit cadeau offert par le gérant. Rien ne pouvait nous faire plus plaisir qu’un pot de crème de marrons !
Le jour baisse et il faut choisir dans quelle direction partir pour le bivouac du soir. Gabriel analyse les images satellites des environs, et parie sur une ruine perdue dans les vignes des environs de Rosières. La ruine est transformée en un énorme roncier, mais par chance, une petite plateforme plate, épargnée par les épines conviendra bien pour planter la tente.
Mercredi 22 Février. Nous émergeons avec le chuchotement des perdrix rouges qui doivent se déplacer quelque part dans les vignes. Une fois le soleil levé, nous sommes parés pour une nouvelle journée qui commence par un ravitaillement au supermarché, avant de remonter sur le plateau de Chapias. Nous y faisons cette fois quelques détours, pour explorer ce plateau rocailleux à la végétation sèche. C’est aussi l’occasion de tester nos vélos sur des chemins compliqués, dont on s’extrait sans trop de difficultés.
Peu après Vallon-Pont-d’Arc, nous rejoignons le cours sinueux de l’Ardèche. La rivière descend vers le Rhône, certes, mais qu’est-ce que ça grimpe dans les gorges ! On ne s’attendait pas à autant de dénivelé pour cette portion, et coupons l’ascension au niveau de la fameuse arche de pierre. Nous profitons du point d’eau de l’aire de repos pour nettoyer entièrement la sacoche de Gabriel dans laquelle a explosé un yaourt. Par miracle, les œufs achetés ce matin sont intacts malgré les chaos de la piste de ce matin. Pendant notre pause, nous repérons les aller-retours de deux Mésanges à longue-queue dans le petit arbre face à nous. Elles sont en train de construire une boule faite de lichens, de mousse et de matière cotonneuse, qui a l’air bien douillette. Cependant notre présence les met en alerte à chaque fois qu’elles rapportent du matériau au nid. Vu la fréquentation du site en été, cela va être un sacré défi d’élever une nichée au milieu d’un parking !
L’après-midi à surplomber les gorges est grandiose. Nous arrivons au col du Serre de Tourre transpirants, pile au moment où un groupe d’ornithologues, longue-vue sur l’épaule, quittent le site. Peu de rapaces aujourd’hui à part quelques Vautours fauves et aucun signe de la vedette du coin, l’Aigle de Bonelli. Si les conditions s’améliorent, nous tenterons notre chance demain. Hélas, la pluie est annoncée dans moins de deux heures et semble s’installer pour les jours suivants.
Le bivouac nous paraît impossible à proximité de la route des gorges (relief escarpé et réserve naturelle). Nous la quittons donc en direction de Saint Remèze puis empruntons la route de la Madeleine. Sur la carte, l’endroit semble désert. Mais en réalité, toute la zone est couverte d’un épais maquis infesté de chasseurs. Il y a un pick-up tous les cent mètres. Quelques nez couperosés, coiffés d’une casquette orange fluo sortent des buissons de temps à autre, fusil à l’épaule. Les chiens déboulent d’un coup sur la route en suivant une piste. Autant vous dire que nous ne faisons pas les malins, sur nos petits vélos, à faire tinter nos sonnettes en continu pour nous signaler, des fois qu’ils nous prendraient pour des sangliers. La luminosité baisse et le plafond nuageux avec, il faut qu’on trouve quelque chose en dehors de cette zone…
Sur notre carte, une aire de pique-nique pourrait être une bonne piste, mais manque de bol, il s’agit de la maison forestière, utilisée par les chasseurs après leur partie de paintball géant dans le maquis : demi-tour ! Heureusement, à moins d’un kilomètre, nous trouvons une petite parcelle à l’abri des regards, quelque peu à l’écart de la route. Nous vérifions que nous ne sommes pas en vue d’un pick-up et nous engouffrons entre les arbres, puis plantons la tente juste avant l’averse. Opération bivouac réussie ! Dans la soirée, les véhicules des chasseurs défilent dans un sens puis dans l’autre, sur la piste de graviers qui mène à la maison forestière. Lorsque le flux s’interrompt, nous prenons une grande inspiration de soulagement. Enfin tranquilles.
Jeudi 23 Février. Une nuit vraiment tranquille. Pas un jappement de renard, ni un aboiement de chevreuil. Pas de grognement de sanglier. Il faut croire que les chasseurs ont tout tué la veille. « prélevé » comme ils disent. Un Pinson des arbres pousse la chansonnette de l’autre côté de notre toile de tente. Son refrain n’est pas tout à fait complet, comme s’il s’entraînait pour être fin prêt au printemps. Notre oreille s’accroche à ses vocalises, jusqu’à ce qu’il prononce la phrase complète : « Tiens tiens tiens, voilà Félicien qui vient ! » (c’est ainsi qu’on imite un Pinson des arbres en langage humain). On l’applaudit !
Nous plions le camp en vitesse pour aller prendre le petit déjeuner sur un des belvédères des gorges. Le brouillard est assez épais, on n’y voit pas à vingt mètres. « chasse en cours ». Encore eux ! Mais est-ce qu’ils y voient mieux que nous dans le brouillard pour se donner le droit de tirer là-dedans ? Un des hommes, équipé d’un talkie signale notre présence aux autres joueurs. « Atteng’ssion cycliss » (avec l’acceng’ du coing’). Même avec nos sonnettes le pion suivant ne se retourne pas et sursaute lorsque l’on passe à sa hauteur…
Le brouillard se dissipe brièvement, le temps d’apercevoir le méandre de Ribeirol. Ça ne sera définitivement pas une journée à rapaces… Qu’à cela ne tienne, nous engrangeons les kilomètres à défaut de pouvoir profiter du paysage et des oiseaux. Nous faisons le plein d’eau à Saint-Martin d’Ardèche puis nous hissons jusqu’à Salazac dans les forêts de châtaigniers. Nous quittons le maquis-qui-pique rempli de genévriers cades, pour de belles forêts humides où chante le Pic noir. Une longue descente nous fait atterrir à La Roque-sur-Cèze, où nous déjeunons à la faveur d’une courte éclaircie. L’après-midi est une succession de lignes droites en direction d’Uzès, dont nous nous éloignons pour trouver un terrain pour notre bivouac. Marine repère un panneau de départ de randonnée après Sagriès, qui mène à une table d’orientation et où l’on trouve même une table de pique-nique non cartographiée. Ce sera notre premier planter de sardine sous un amandier en fleurs.
Vendredi 24 Février. Les sangliers ne sont pas passés loin cette nuit. Marine les a entendus remuer dans les cailloux tout près de la tente. Dans la mesure où la nourriture et les déchets sont toujours rangés dans les sacoches hermétiques, il n’y a pas de soucis à se faire. Nous plions vite la tente entre deux averses et nous abritons sous le grand cyprès quand la pluie s’intensifie.
Nous traversons le Gardon (à sec) en tenue complète de pluie, et atteignons le sommet du plateau de Poulx, au beau milieu d’une zone militaire en activité, aussi ruisselants à l’intérieur que nos ponchos. Hasard des choses, nous enlevons enfin notre drapé de PVC à côté du toréador de bronze qui étale sa muleta sur le parvis des arènes, après avoir essuyé un gros grain à l’entrée de la ville. Nous poursuivons en direction de Générac où nous trouvons un abribus parfait pour laisser passer l’épisode de pluie pendant le repas. Il faut tout de même attendre 15 heures que cela se calme un peu.
Marine tient à passer par des voies non revêtues avant Vauvert, car c’est là que se situent certains hotspots ornitho (décrits dans le livre Où voir les oiseaux en France des éditions Biotope). L’alternance de terrains cultivés et de friches est en effet intéressante. On dénombre beaucoup d’espèces de passereaux sur un même arbre. Notamment des Bruants proyers et un paquet de fringillidés. Un cri inhabituel provient d’un arbre au loin d’où s’envolent deux gros oiseaux : des Coucous geais ! Ils filent en quelques coups d’ailes au-dessus des oliviers. Deux adultes arrivés tôt dans la saison, sûrement pour être les premiers en repérage pour parasiter les nids des pies. Le crachin reprend et nous devons écourter les pauses ornitho et ranger les jumelles à contrecœur.
Nous traçons en direction de Vauvert pour faire un plein avant notre boucle en Camargue où nous aurons peu de points de ravitaillement. Nous ne faisons pas de détour pour l’eau, en espérant en trouver à Gallician sur le Canal du Rhône, que nous rejoignons par une belle portion cyclable avec les lumières du soir. Par chance, le responsable de la capitainerie est dans les parages et nous ouvre les sanitaires du petit port de plaisance, où nous pouvons remplir toutes nos gourdes et faire un brin de toilette. Nous longeons le canal pour trouver un bivouac le long de la voie cyclable, à l’écart du passage et des voitures, à un petit kilomètres de l’étang du Charnier. Nous apercevons à travers les roseaux quelques Flamants roses. Des Ibis falcinelles défilent dans le ciel. Le Busard des roseaux apparaît au-dessus de la roselière. Les grenouilles commencent à s’activer. Bienvenue en Camargue !
Samedi 25 Février. Notre amie Emmanuelle vient passer le week-end avec nous, et nous prévoyons de nous retrouver à la réserve de Scamandre. Avant cela, nous prenons notre temps entre les étangs de Charnier et du Crey pour faire quelques pauses photo, écouter les Luscinioles à moustaches, contempler les Grandes aigrettes.
Le bas-côté est assez étroit, mais à vélo on peut s’arrêter vraiment n’importe où pour avoir de bons points de vue sur les étangs. Lors d’une de ces pauses, une espèce de grosse foulque fait son apparition à la lisère des roseaux. Elle a un bec rouge vif et un plumage aux reflets bleutés. Une Talève sultane ! Une deuxième sort elle aussi, en arrière plan, pendant que la première s’ébroue dans l’eau. Le temps d’un lissage de plumes et elles disparaissent toutes les deux.
Gabriel surveille les vélos pendant que Marine part en repérage sur les sentiers pédagogiques de la réserve. Emmanuelle nous rejoint en voiture, grand sourire et le teint hâlé par la vie montagnarde du Mercantour. Un petit tour pour aller voir les canards depuis l’observatoire (Canards souchets, Fuligules milouins et Nettes rousses notamment), puis nous sommes de retour pour partager un repas à l’abri du vent dans les locaux de la réserve. Pour la suite, nous nous donnons rendez-vous une quinzaine de kilomètres plus loin au Musée de la Camargue pour aller à l’observatoire du Pont de Rousty.
Le vent n’est pas dans le bon sens mais nous arrivons tant bien que mal au point de rendez-vous. Seulement, il est déjà un peu tard pour tenter un aller-retour à l’observatoire et nous devons nous préoccuper en priorité de l’endroit où nous passerons la nuit. Les terrains alentours sont incampables (clôturés, privés, ou à l’intérieur de la réserve) et il faut absolument trouver un secteur abrité car un fort vent est annoncé pour la nuit. Marine contacte les gîtes des environs mais ils sont complets en cette période de vacances scolaires. De recommandation en recommandation téléphonique, nous obtenons l’autorisation de planter notre tente chez un particulier à quelques coups de pédales. Emmanuelle préfère rentrer vu les conditions météo désastreuses du week-end, et nous quitte au moment où nous installons la tente dans le jardin que l’on nous prête gentiment. Le vent commence à souffler très fort, les rafales hurlent dans les arbres et les bambouseraies, mais la tente tient bon toute la nuit.
Dimanche 26 Février. Huit heures, nous sommes déjà partis en direction de la cabane de Guardian, une petite construction aux murs blanchis et au toit de chaume, perdue dans les étendues de salicorne. Heureusement, la façade plein Sud est flanquée d’un petit banc protégé des bourrasques. Nous passons la matinée entre l’observatoire et la roselière à observer ceux qui barbotent tranquillement sur l’eau, et ceux qui peinent à garder un cap dans le ciel agité. Nous réfléchissons à la stratégie à adopter pour avancer dans cette journée de tempête. Rester à attendre que cela se calme nous met dans l’impasse d’hier, et nous ne nous voyons pas demander une autre nuit dans le jardin où nous étions. Nous décidons d’avancer vers le village de Salin-de-Giraud où au pire, nous trouverons une chambre (le camping est fermé) à défaut de bivouac. Nous avons un peu plus de quatre kilomètres à parcourir exposés en plein vent, avant la bifurcation de Sainte Cécile où nous l’aurons dans le dos.
La violence du vent nous oblige à marcher en poussant les vélos, légèrement inclinés pour éviter qu’ils ne nous emportent. Très concentrés, car nous avons chacun cinquante kilos à maîtriser dans les rafales imprévisibles ; nous marchons d’un bon pas sur la voie de gauche, pour mieux anticiper le passage de véhicules, et stoppons notre convoi à chaque croisement. Au deuxième kilomètre difficilement atteint, nous stoppons net car une voiture s’arrête à notre hauteur. La même que celle aperçue dans l’autre sens il y a une minute, que nous avions identifiée avec un vélo à l’arrière. Ces personnes ont fait demi-tour pour venir nous voir… Pourquoi ? Nous reconnaissons dans l’habitacle Lucie et Alex, avec qui nous avons partagé l’étape de la frontière italo-française au mois de Novembre !
Cette rencontre improbable nous redonne de l’énergie pour continuer notre calvaire jusqu’à l’intersection où nous pouvons enfin nous détendre un peu. Le vent dans le dos maintenant, nous avançons à trente kilomètre par heure sans donner un seul coup de pédale. Gabriel remarque qu’en écartant un bras, il gagne encore en vitesse, c’est du délire ! Par contre pour les oiseaux, c’est pas gagné, aucune pause n’est possible et les étangs ont l’air complètement désertés. Pauvres Flamants roses, tous en ligne derrière un des seuls abris du Vaccarès…
La Camargue est vraiment hostile au bivouac, d’autant plus par ces conditions venteuses où nous cherchons dans ces étendues rases, une haie bien orientée à l’écart de la route.
– Tout est privé, vous ne pouvez camper nulle part, nous avait dit au téléphone la personne chargée de l’accueil à la Capelière.
– Et si l’on campe dans une voiture, on peut dormir près du Fangassier ? Répond du tac au tac Marine, qui sait que c’est un repère pour les camping-cars.
– Ah oui, si vous êtes en voiture c’est bon.
– Et si c’est une voiture sans moteur et sans roue, avec une carrosserie en toile de tente et des sardines, c’est autorisé alors ?
La dernière réplique, nous l’avons évidemment gardée pour nous, agacés de constater l’acceptabilité du stationnement nocturne des véhicules polluants d’un côté, et le mépris des randonneurs en tente (les plus discrets et respectueux soient-ils) de l’autre. L’échelle de valeurs nous semble complètement à l’envers.
Nous approchons de Salin, et toujours aucune piste de bivouac quand Gabriel freine tout à coup. Son flair pour les bons coins nous emmène de l’autre côté d’un petit canal d’irrigation au milieu des labours. Quelques minutes plus tard, nous sommes au pied du seul arbre du secteur, dont les ronces et lianes entremêlées à son pied forment un barrage au vent inespéré. Le sol a été débroussaillé récemment, il nous faut donc jardiner un bon quart d’heure pour retirer les rejets de ronces qui pourraient percer notre toile ou nos matelas. Nous attendons le coucher du soleil, vers dix-huit heures passées pour ériger notre maison. La tente à peine tendue, nous entendons des Grues cendrées se rapprocher. Quelques unes, puis dix, puis cent, puis des centaines défilent dans la même direction, luttant contre le vent pour rejoindre leur dortoir. On a été malmenés toute la journée, mais la récompense est magique !
Lundi 27 Février. Une petite rainette à passé sa nuit contre nos têtes dans le auvent. Comme nous, elle a eu besoin de s’abriter du mauvais temps pour la nuit et des températures qui ont chuté. Car ce matin il fait zéro, et la pluie s’est changée en neige. Nous filons au premier café que nous trouvons au village et y étalons nos gants et nos guêtres humides sur les radiateurs. Ni les hommes attablés cartes en main et discutant bruyamment, ni le gérant dégarni derrière son zinc n’imaginent que nous avons passé la nuit dehors. Ils nous saluent d’un « bangjourrr » qui sent le Sud. Le programme de la journée dépend des éclaircies. Nous pourrons aller observer les oiseaux des baisses jusqu’à Piémanson avant quinze heures si les prévisions se confirment. La lumière est mauvaise pour les photos, et le vent encore une fois peu propice, mais nous faisons tout de même de belles observations de bécasseaux depuis le bord de la route. Quand la pluie revient, nous faisons demi-tour en comptant une deuxième fois sur le café, mais il est fermé. Son auvent nous offre néanmoins de quoi laisser passer l’épisode avant de rejoindre le bivouac des grues et de la rainette.
Mardi 28 Février. Nous traversons le delta du Rhône par la digue à la mer, petit cordon de terre caillouteux au milieu de la lande parsemée d’arbrisseaux, et des vasières protégées par la dune. Une huppe fasciée a égayé notre parcours à partir du phare de la Gacholle, volant devant nous puis se reposant sur la route avant de décoller de nouveau, et ainsi de suite sur un bon kilomètre. Il fait cinq degrés avec un vent de travers soutenu et des passages ensablés, mais cela ne nous empêche pas d’atteindre les Saintes-Maries de la mer pour l’heure du déjeuner. Nous avons bien mérité une pizza au chaud en arrivant ! Nous prenons contact avec Lucie et Alex, installés à Port Camargue qui nous hébergent pour la nuit. C’est encore à une quarantaine de kilomètres, mais la promesse des retrouvailles (et surtout celle d’une douche), coïncidant avec l’anniversaire de leur départ à vélo, nous motive à pédaler (presque) sans pause ornitho jusqu’à la cité balnéaire.
Lucie et Alex nous accueillent avec la simplicité et l’hospitalité de ceux qui savent ce que c’est que d’arriver fatigués après dix jours d’itinérance. Le chien et le chat de Lucie font connaissance avec nous, et nous acceptent eux aussi joyeusement dans leur espace.
Mercredi 1er Mars. Journée repos en bonne compagnie, car nous restons volontiers une deuxième nuit chez nos hôtes. Petite balade sur la plage et sur l’étang de Salonique le matin, puis visite d’Aigues-Mortes l’après-midi. Toutes les questions que se posent nos amis en ce moment sur la sédentarisation post-voyage font écho en nous. Nous aurons nous aussi le choix de nous enraciner quelque part, mais où ? L’équation lieu de vie et activité professionnelle est difficile à résoudre, nous reportons l’heure des choix à plus tard, après l’Espagne… Laissons de côté cela pour le moment, le coucher de soleil face à la mer est une splendeur depuis la terrasse !
Jeudi 2 Mars. Départ à neuf heures et demi, pleins de gratitude pour Lucie et Alex. Le ravitaillement fait, nous attaquons maintenant la traversée des cités balnéaires du Grau du roi puis de la Grande motte, univers de béton blanc tout en obliques et en courbes, stores baissés et vitrines vides en attente du démarrage de la saison touristique. À la sortie du Golfe d’Aigues-Mortes, nous empruntons brièvement le canal du Rhône à Sète, cyclable jusqu’à Villeneuve-lès-Maguelone. L’occasion d’observer quelques Tournepierres à collier, Grands cormorans, Hérons cendrés, Grèbes à cou noir ainsi que les premiers Cochevis huppés. À partir de l’Abbaye du Pilou, le canal est malheureusement interdit aux cyclistes, nous obligeant à contourner complètement l’étang de Vic. Raison de plus pour aller visiter les salins du Sud-Ouest de Villeneuve où les Hirondelles de fenêtres nous indiquent que la migration a bel et bien commencé !
L’heure du bivouac approchant, nous nous dirigeons vers la colline du Cau, petit promontoire entre la voie ferrée et l’autoroute. Deux hommes cherchent dans le secteur des falaises l’entrée de la « Grotte des quarante », une cavité où auraient été retrouvés des ossements humains datant de la préhistoire. L’un d’entre eux s’aventure à escalader sans équipement les rochers, déplace des cailloux, enlève des végétaux… Nous finissons par trouver une plateforme à peu près plate et protégée du vent un peu plus loin. Au coucher du soleil, nous répétons notre chorégraphie : dérouler les bâches et le tissu, déployer les arceaux, recouvrir avec le double-toit, et nous sommes enfin chez nous.
Vendredi 3 mars. Fait notable, on se réveille enfin avec un peu de soleil et décidons d’aller en profiter pleinement sur la plage de galets des Aresquiers à moins de dix kilomètres. Les Serins cinis sont déjà bien actifs à cette heure-ci, nous faisant presque croire à leur chant éraillé que notre chaîne mérite d’être graissée. Nous passons ensuite un long moment sur la plage de Frontignan à observer les nombreux Pouillots véloces et Fauvettes mélanocéphales dans les tamaris du bord de mer, avant de rejoindre Sète où nous déjeunons face aux bateaux. Le reste de l’après-midi est plutôt monotone sur la grande piste du long des plages avec du vent de face, jusqu’à Agde que nous dépassons pour chercher où dormir. Un peu avant Portiragnes, une pelouse jouxtant la piste cyclable nous paraît parfaite, une fois que les promeneurs l’auront désertée. Un couple s’arrête discuter avec nous, et tout deux nous apprennent que nous nous trouvons juste à côté de la réserve de Grand salon où ils ont observé des Cigognes au nid. Nos vélos nous y mènent sans encombre, sur une piste de terre craquelée et bosselée que l’on aurait eu des réticences à prendre avec nos anciennes montures : ils passent partout !
Samedi 4 Mars. Réveil agréable avec en fond sonore le chant des Cochevis huppé, qui pourrait faire penser à celui d’une grive. Pour une fois, nous prenons le petit déjeuner sur place, et chargeons sans hâte nos vélos. Encore du vent de face, on est abonnés !
Un peu avant de traverser le canal de l’Aude, Marine sent son pneu se dégonfler en repartant d’une pause ornitho faite en marge d’un rond point. Première crevaison ! La chambre à air semble pourtant intacte, la fuite ne sera pas facile à repérer. Pour gagner du temps, nous la remplaçons par une toute neuve, et c’est reparti vers les étangs de la côte.
Malheureusement, le vent est toujours aussi présent et ne facilite pas notre recherche de lieu pour déjeuner. Nous pédalons encore longtemps avant de jeter notre dévolu sur un sous-bois de pins au bord de la route. Après Saint-Pierre-la-mer et Narbonne-plage, que nous trouvons d’un ennui terrible, le rocher de Gruissan apparaît enfin, et avec lui la promesse des oiseaux de passage.
Nous contournons par le Sud l’île Saint-Martin où nous pensons pouvoir trouver un bivouac, sans succès. Le chemin termine en impasse sur le stationnement du départ des balades, où la signalétique indique clairement l’interdiction d’y planter une tente, et même d’y stationner la nuit (pour une fois, on est à égalité avec les campeurs sous carrosserie). L’heure tourne, et à mesure que le soleil baisse, nous voyons nos chances de visiter les salins s’amenuiser. Après plusieurs essais infructueux en revenant sur nos pas, le flair légendaire de Gabriel nous conduit sur une terrasse en belvédère sur les salins, et protégé du vent qui plus est ! Une lune quasi pleine se lève sur notre terrain temporaire, projetant sur la toile les ombres portées des pins méditerranéens.
Dimanche 5 mars. Direction l’étang de l’Ayrolle, spot de suivi migratoire de Gruissan. Sur place, cinq personnes l’œil dans la longue-vue sont postées en ligne. Pas de doute, nous sommes au bon endroit.
– Alouettes en vol, signale l’un d’eux.
– Ah oui, bien vu. Il y a une lulu avec !
Marine rajoute à la file de longue-vue la sienne, tirée du sac étanche du porte-bagage arrière, et scanne à son tour l’horizon au Sud-Ouest pour repérer les oiseaux remontant vers le Nord. Chaque observateur contribue au suivi en signalant à voix haute les oiseaux détectés en migration active, le plus précisément possible. En donnant des indications sur l’espèce, et sur la localisation par rapport aux repères du paysage. Les passereaux sont difficiles à saisir et à déterminer à distance. Et même les plus gros ne peuvent être identifiés qu’à leur seule silhouette et manière de voler. Chez les ornithos, on appelle cette identification par le comportement propre à chaque espèces le «jizz». Une notion qui serait dérivée de l’acronyme « GISS » (General Impression of Size and Shape) des pilotes de l’armée de l’air, capables de reconnaître en un coup d’œil les aéroplanes ennemis ou alliés.
On comprend l’intérêt du site pour observer le flux migratoire : les oiseaux survolant de préférence la terre ferme n’ont pas beaucoup d’options en remontant vers le Nord, surtout par vent contraire comme aujourd’hui. Quand ils ont le vent dans le dos, le flux est plus diffus et plus haut en altitude, donc moins visible. Ici les oiseaux franchissent à un moment ou un autre l’étang de l’Ayrolle, soit par l’Ouest (côté via ferrée), soit par l’Est (côté Salins). Certains, comme quelques éperviers choisissent l’option de couper au ras de l’eau, et nous font ainsi le plaisir de passer tout près. Quelques Milans royaux préfèrent le passage côté salins, quand les Circaètes Jean-le-Blanc contournent très largement par la terre ferme vers les éoliennes. Les Bergeronnettes grises arrivent en masse, les Cigognes débarquent très haut, quelques grues volent en lignes discrètes sur fond de ciel, et les courageuses Hirondelles rustiques surgissent sans qu’on les ai vraiment vues venir. Ça sent le printemps, ça sent le printemps !
Le vent retombe un peu, le flux des oiseaux se tarit sans que nous ayons vu le temps passer, Marine les yeux dans les jumelles et la longue-vue, et Gabriel à l’abri du vent au soleil. Encore une dernière cigogne, puis nous remercions le groupe en leur souhaitant de bonnes observations, pressés de reprendre nos vélos avant que le vent ne bascule au Sud. C’est à notre tour de contourner l’étang de l’Ayrolle, en longeant la voie ferrée puis en empruntant l’ancien chemin de halage jusqu’à l’île Saint Lucie. Peut-être sommes nous passés brièvement dans le champ de vision des longue-vues des ornithologues d’en face ?
Nous y faisons la rencontre d’un cyclo-nomade anglais, depuis trois ans sur les routes, et qui nous conseille le meilleur itinéraire selon lui pour traverser les Pyrénées. L’eurovélo est trop raide et caillouteuse, il vaut mieux passer le long de l’autoroute. Nous avions en tête de longer la côte, mais cela pourrait être un plan B en cas de vent trop violent. Dernière côte de la journée pour traverser Leucate et nous redescendons sur le Lido qui nous mène à Port Leucate. Quand soudain, dans le virage de la piste cyclable surgissent trois personnes qui nous filment avec leurs téléphones. Le père et les sœurs de Marine en comité d’accueil ! Plus que sept kilomètres et nous pouvons enfin déposer nos sacoches dans la maison où nous resterons plus d’une semaine à profiter de moments en famille, rédiger l’aventure, observer les oiseaux et reprendre des forces (et attendre que la tramontane se calme!) pour ce qui nous attend prochainement : la traversée des Pyrénées.
Un grand merci à Hélène pour cette halte en Ardèche, à dame Florence de Joyeuse pour les moments partagés, Sébastien en Camargue pour nous avoir permis de passer la nuit à l’abri du vent, à Emmanuelle pour ces retrouvailles au pays des oiseaux, Lucie et Alex pour ce Warmshower improvisé à Port Camargue, et au papa de Marine pour le séjour à Port Leucate !
Liens liés à l’épisode :
- Où voir les oiseaux en France, éditions Biotope
- Les sites de suivi migration en France
- Les sites de suivi migration mondial
- Chants d’oiseaux du monde entier
- web radio Allô la planète
- émission d’Allô la planète sur la photo en voyage : Interview cyclopithecus à 47′ 31″
- L’univers de Lucie et Alex, les Syklopattes
coucou les amis ! Quel bonheur de vous suivre…. Les photos sont magnifiques, l’aventure palpitante, bien qu’assez humide, pour un peu je sentirais le vent, l’affreux vent ennemi des cyclistes… Vous ai-je raconté qu’un jour où j’étais à vélo sur une route de Camargue, près des Salins de Giraud, une automobiliste s’est arrêtée pour me prévenir : « il y a un taureau sur la route à quelques dizaines de mètres ! » Je n’avais pas le choix, je devais avancer, les genoux en coton ! mais heureusement, quand je me suis avancée, le taureau avait rejoint son pré !
J’espère que vous vous êtes bien reposés, séchés, ravitaillés, et que vous êtes en forme pour traverser les Pyrénées. Gros bisous, on pense à vous ! Hélène