30 – Alfés > Berbegal (km 13 438 > km 13 883)

  • 2023/04/01 Alfés – Castelldans, 28 km : Mosaïque d’habitats entre steppes et cultures.
  • 2023/04/02 Castelldans – Alfés 24 km : Cache-cache avec un Traquet rieur.
  • 2023/04/03 Alfés – Utxesa, 28 km : Le bivouac des guêpiers et des torcols.
  • 2023/04/04 Utxesa – Fraga – Valfarta, 73 km : Ligne droite pénible sous le soleil.
  • 2023/04/05 Valfarta : Pleine lune !
  • 2023/04/06 Valfarta : Repos au camping.
  • 2023/04/07 Valfarta – Bujaraloz, 27 km : Lagunes salées à sec.
  • 2023/04/08 Bujaraloz – Sástago, 31 km : Après le désert, l’oasis.
  • 2023/04/09 Sástago – Reserva del Planerón : Découverte des steppes d’Aragon.
  • 2023/04/10 Autour de Codo, 27 km : Sirlis et compagnie.
  • 2023/04/11 Codo – Osera de Ebro, 53 km : La chapelle du Renard roux.
  • 2023/04/12 Osera de Ebro – Castejón de Monegros, 32 km : La pinède aux aigles.
  • 2023/04/13 Castejón de Monegros – Berbegal, 66 km : Coquins de cyclopithèques !

Samedi 1er Avril. Le chant du Sirli de Dupont revient vers cinq heures du matin, non loin de la tente. À six heures, Marine ne tient plus en place et part arpenter l’aérodrome sur l’allée principale dans l’espoir de voir cet oiseau au chant si mélodieux. L’aube n’est pas encore apparue mais il ne fait pas complètement noir avec la demi-lune, et le chemin de terre contraste bien avec la végétation sèche. Il y a au minimum trois chanteurs simultanés dans cette partie de la réserve. L’ornitho local rencontré la veille avait parlé de neuf individus, un bon signe car l’espèce avait été déclaré comme espèce éteinte en Catalogne vers 2007 .

Les chanteurs se situent à l’écart de l’allée principale, il faudra se satisfaire de la version auditive à défaut de les voir. Peu à peu le jour se lève, les alouettes et le serins remplissent l’espace sonore et les sirlis retournent dans leur mutisme.

De retour dans la pinède, nous rangeons nos affaires en vitesse pour aller prendre le petit-déjeuner sur le banc abrité des hangars désaffectés. On devine au design des luminaires qu’il date d’avant-guerre. En réalité, ce lieu date des années 30 et a été le théâtre de la Guerre civile, puis de la deuxième Guerre mondiale. D’abord aux mains des Républicains puis accaparé par les Franquistes qui ont permis l’atterrissage des bombardiers nazis.

Pour la partie plus contemporaine de son histoire, l’aérodrome a dû fermer à la création de la réserve en 2015, mais pour la bonne cause : les sirlis sont revenus et chantent de nouveau dans la steppe de thym et de romarin.

Aérodrome de Lérida

Nous prenons la direction du centre des visiteurs de la réserve de Alfés-Mas de Melons, plein Sud après avoir franchi l’autoroute et effrayé une paire de Perdrix rouges. De ce côté, les cultures de céréales alternent avec les labours secs, quelques îlots steppiques, et des parcelles en jachères fleuries. Coup de chance, dans les premiers kilomètres nous apercevons des Outardes canepetières en vol, en petits groupes de deux à six individus. Le bruit des vélos et notre silhouette humaine les fait malheureusement fuir à des centaines de mètres. On est donc d’autant plus vigilants lorsque l’on aborde le type de champ cultivé duquel elles ont décollé. Malgré la frayeur qu’elles ont dû éprouver, leur vol n’en est pas moins souple et élégant. On repère les mâles dans les groupes à leur large anneau noir sur la gorge.

Outardes canepetières
Outarde canepetière

Un peu plus loin ce sont trois Traquets motteux que nous surprenons dans un labour de petite taille. Les mêmes que sur le plateau du Vercors en été ! Et que nous avions observé en Suède au printemps dernier. On voit bien que ces grands voyageurs nous jaugent de leur œil brillant barré d’un trait noir. En nous déplaçant lentement nous parvenons à nous éloigner sans qu’ils ne s’envolent. Même technique avec deux Faucons crécerellettes qui étaient posés sur une maison à nichoirs, dont on arrive à bien distinguer le plumage gris-bleuté sur la tête et les ailes du mâle.

Faucon crécerellette

Le vent est particulièrement fort au moment où nous atteignons une zone de vergers et d’oliviers. Et c’est à ce moment précis que surgit un Aigle royal sur les crêtes des petits reliefs épargnés par les cultures. Surprenant pour un rapace qui est pour nous associé au milieu montagnard.

Marine aperçoit un petit groupe de ce qui ressemble à de gros limicoles, ailes arquées se terminant en pointe. Mais il y a quelque chose qui cloche, ils sont très ventrus, avec la queue pointue. Ça ne ressemble à rien de familier. Un rapide coup d’œil au guide et la vérification du cri de contact confirme qu’il s’agit là d’un vol de Gangas cata, une des espèces emblématiques des steppes. Ils sont partis bien trop loin, le vent les emmène hors de portée de jumelles et de vélo… Quel bonheur cela serait de voir de plus près cette espèce aux yeux bleus et aux couleurs chaudes !

La portion asphaltée qui succède à ce long épisode de piste soulage un peu nos fesses et nos poignets, avec en prime une grande descente jusqu’au pont de Aspa. Nous virons à bâbord avant de le traverser, pour remonter en pente douce la route de Mas de Melons, bordée de falaises ocres où l’on observe des Hirondelles rousselines sans avoir besoin de jumelles. La chaleur se fait de plus en plus intense, et les rafales aussi au point de devoir mettre pied à terre dans la rampe d’accès du centre d’accueil de la réserve.

On lève les yeux sur cette grande bâtisse de pierre calcaire juchée sur un promontoire depuis lequel on aperçoit la cathédrale brune de Lleida aux allures de forteresse. La personne en charge de l’accueil nous salue et nous propose de déjeuner à l’abri puis de nous présenter le site dès que l’on aura un moment. Un homme avenant, dans la trentaine, cheveux longs noirs rassemblés en queue de cheval rasés sur les côtés, et lourde veste sans manche sur laquelle on lit « educació ambiental ».

Lérida

Grâce à lui nous apprenons que la construction date de l’époque des Templiers et que la croix gravée sur le jambage de pierre de l’entrée servait à éloigner le démon dès lors que l’on passait le seuil de la maison. Les extensions successives témoignent de la puissance passée du clergé et des seigneurs qui ont régné sur ces terres jusqu’à ce que les derniers héritiers disparaissent. À l’entrée de l’Espagne dans l’union européenne en 1987, toute la zone est placée sous protection environnementale et la réserve Mas de Melons créée à la suite.

– Rien à voir avec les melons que l’on mange ! Nous explique notre guide. Cela vient du latin meles choisi par les romains qui signifie blaireau, car le lieu a toujours été habité par des quantités de blaireaux.

On passe ensuite à la présentation des milieux qu’héberge la réserve, les espèces phares tant végétales qu’animales, bien animée à renfort de gestes et de mimes par notre guide visiblement investi. Il s’interrompt de temps en temps pour laisser Marine traduire à Gabriel.

C’est l’occasion pour nous d’en savoir plus sur le sujet de l’irrigation qui nous questionne depuis que nous sommes arrivés dans la région. Le système traditionnel de puits et de canaux en pierre dont on voit des vestiges dans la campagne, ont été remplacés par un vaste maillage souterrain de béton et de polypropylène qui permet d’amener en goutte-à-goutte l’eau du Segre sur n’importe quel terrain.

L’autre question à laquelle Marine voudrait un début de réponse c’est sur le Traquet rieur, où peut-on avoir des chances de le voir ?

– Juste ici (il nous emmène dehors sur la partie du parvis qui surplombe d’anciens enclos de pierre). Je le vois quasiment à chaque fois que je viens travailler ici. Mais aujourd’hui vous n’avez pas de chance avec ce vent…

Il ajoute en allumant une cigarette roulée que cela fait très longtemps que l’espèce est observée ici et qu’il niche dans ces murets de pierre sèche. Son prédécesseur récemment parti à la retraite lui demande d’ailleurs régulièrement des nouvelles de son compagnon le Còlit negre (Traquet rieur en catalan).

Nous passons un moment sur le secteur dans les bourrasques qui soulèvent la poussière, sans voir autre chose que des Craves à bec rouge et des étourneaux. Un groupe de trois ornithos catalans s’installe aussi dans le même but, un peu déçus par les conditions venteuses et le peu d’oiseaux visibles. Puis nous décidons d’aller nous abriter du vent et du soleil dans le village de Castelldans, en passant par la bergerie du Mas de Matxerri, un petit vallon de la réserve entre falaises calcaires et labours.

Mas de Matxerri

On arrive au village rapidement, bien éprouvés par le soleil et le vent. Heureusement que le guide nous a dépanné d’un peu d’eau car la fontaine ne fonctionne pas. On passe un bon moment à l’ombre des platanes de la place principale, ajustant de temps à autre la position de nos vélos où à courir après nos affaires (le vent change violemment de direction), avant de redécoller en quête du prochain bivouac.

Chardonneret élégant

On s’éloigne d’un peu moins de dix kilomètres de Castelldans, cherchant un rempart contre le vent dans les terrasses non cultivées. En vain car elles sont mal orientées. C’est finalement au bord d’une piste, sous les pins que nous pouvons enfin nous reposer en attendant l’heure de planter la tente, précipitée par quelques gouttes de pluie improbables. Hors de question d’allumer le réchaud sur ce tapis d’aiguilles sèches, on mange froid ce soir : conserve de pois chiches avec sauce tomate cuisinée et yahourts en dessert. Et à défaut d’eau en abondance, on se lave avec quelques lingettes humides qui sentent bon le parfum de synthèse ! En nous endormant, notre front et nos joues diffusent une chaleur étonnante, restituant en partie tout ce notre peau a accumulé dans la journée.

Bivouac de Castelldans

2 Avril. Le réveil est tellement difficile pour Marine que l’on reporte d’une heure, et replions la tente exceptionnellement après le lever du soleil. Direction la bergerie de Matxerri (encore) avec des conditions plus clémentes qui nous permettent d’observer de beaux Traquets oreillards perchés sur des buissons ou des mottes de terre sèches. Vers une maison de pierre, nous observons deux Pigeons colombins qui cherchent à se toucher en vol, on dirait un duo de danse. Des pigeons sauvages, que l’on a rarement l’occasion d’observer. Ça valait la peine de revenir !

Mas de Matxerri
Traquet oreillard
Gabriel en approche-traquet
Traquet oreillard

Nous nous postons une petite heure sur la façade abritée, pour se donner une chance de les revoir. Ils ne reviennent pas, mais cela nous donne l’occasion d’observer deux renards dans la longue-vue, des quantités d’hirondelles qui rasent le champ, les craves et les Choucas des tours.

Nous arrivons à l’heure du casse-croûte à Mas de melons où nous retrouvons avec plaisir Javí (nous n’avions pas échangé nos prénoms hier) avec qui nous faisons plus ample connaissance. Un personnage original, ce Javí. Né en Gallice en 1986 où son grand-père élevait des corbeaux qui parlent, vivotant dans sa fourgonnette pendant plusieurs années dans la communauté Rainbow, gagnant son pain en faisant les récoltes des fruits et des oliviers avec les gitans et les Sénégalais (plus facile les oliviers, car c’est en automne qu’on les ramasse et il fait moins chaud) ; aujourd’hui à moitié animateur de la réserve, et à moitié intervenant périscolaire avec des ateliers de cirque et de marionnettes. C’est donc pour ça qu’il s’exprimait si bien en gestes et mimiques pour nous faire le topo hier !

Il nous souhaite bon voyage et nous met en garde sur Belchite. Le village laissé en ruine après la Guerre civile serait hanté. Et qui prête l’oreille la nuit peut entendre encore les bombes et les cris.

– Une amie a déjà vu comme des lueurs d’explosion nous glisse-t-il l’air très sérieux.

Il a du mal à réprimer un sourire et nous avoue qu’il y a peut-être un paramètre à prendre en compte pour expliquer ce phénomène surnaturel (il mime quelqu’un qui fume en portant deux doigts sur ses lèvres pincées).

– Mais au fait, où avez-vous dormi ?

– Dehors, dans notre tente, pourquoi ?

– Ici en Espagne c’est interdit de dormir dehors, même en fourgon, la police peut venir vous demander de partir.

On lui explique la différence entre bivouac (tente montée entre le coucher et le lever du soleil) et camping sauvage (camp installé toute la journée voire plusieurs d’affilée), mais apparemment la règle en Espagne ne fait pas cette nuance. On était partis avec l’information que c’était toléré, un peu comme en France… Raison de plus pour être discrets sur les bivouacs suivants.

Cette fois nous reprenons la route en passant en contrebas du centre. Marine aperçoit rapidement un oiseau noir de la taille d’un merle, qui se pose sur les rochers. Sa queue est blanche, pas de doute, il s’agit du Traquet rieur ! Nous passons près de deux heures à essayer de le prendre en photo, dans une partie de cache-cache sous le soleil brûlant. Partie largement prolongée par le fait que la batterie est tombée en rade juste au moment où l’oiseau se posait à l’endroit idéal pour un cliché.

Affût du Traquet rieur
Traquet rieur

Le vent se lève, nous l’avons de face pour remonter vers le Nord avec pour but de passer une nouvelle nuit dans la pinède de l’aérodrome. On revoit les Faucons crécerellettes au même endroit que la veille, mais pas d’outarde ni de ganga. On peine dans le dernier kilomètre. Gabriel est contraint de mettre pied à terre sur le pont de l’autoroute tellement les rafales sont puissantes. Ça a l’air d’avoir calmé les alouettes qui sont très discrètes comparé à notre arrivée sur les lieux. Au moment de déguster notre bouillie de nouilles instantanées, des cris roulés et gutturaux se rapprochent du hangar. Des Guêpiers d’Europe ! Une douzaine passe en vol au-dessus de la pinède. Ça y est, ils ont traversé toute l’Afrique et la péninsule ibérique pour arriver ici !

Guêpiers d’Europe
Maison à nichoirs

3 Avril. Un sirli se manifeste entre 3 et 4 heures du matin. Ce n’est pas la mélodie complète mais des cris monotones avec le même timbre si singulier sorti d’un synthétiseur.

Nous pédalons jusqu’au village de Alfés où nous faisons le plein d’eau sur la place de la mairie. Derrière les grands vitrages du bâtiment, on distingue de grands personnages en papier mâché ; peut-être des éléments des processions religieuses de la semaine sainte qui débute bientôt ? Il faudra que l’on anticipe pour ne pas manquer de provisions pendant les cinq jours fériés du Jeudi au Lundi.

À l’entrée de Sunyer, nous profitons du calme du parc arboré et de la présence de fontaines pour s’offrir un shampooing-bassine. Personne ne nous remarque si ce n’est une Huppe fasciée, des oies domestiques et des Pigeons ramiers dont les déjections ne sont pas passées loin du réchaud pendant que Gabriel s’occupait de faire chauffer l’eau du repas du soir (on la conserve dans un thermos, ça nous évite de s’embêter avec ça sur le lieu du bivouac car parfois ce n’est pas possible).

Shampoing-bassine

Sunyer est le dernier village avant un bout de temps, car l’après-midi se résume à de longues heures sous le soleil à travers les plantations de pommes, de poires, d’amandiers et d’oliviers à perte de vue ; jusqu’à un nouvel élément dans le paysage : la retenue d’eau d’Utxesa, bordée par endroits d’épaisses roselières (et une partie de marais classée en réserve naturelle).

Route d’Utxesa

Nous l’abordons par l’Est où la première roselière est survolée de pas moins de quatre couples de Busards des roseaux en parade nuptiale, tout en cris miaulés et acrobaties aériennes. Marine part un peu plus loin explorer la berge où la roselière s’amincit, près des habitations. Elle fait décoller un Héron pourpré qui était à quelques mètres des peupliers, et qui rejoint l’autre berge en criant. Oups… Ça n’a pas l’air d’avoir dérangé une certaine Rousserolle turdoïde qui continue de chanter comme si de rien n’était, ni le Bruant des roseaux qui picore goulûment les plumeaux des phragmites.

Busard des roseaux

Plus au Sud, là où la retenue d’eau est plus canalisée, les roselières abritent quelques Aigrettes garzettes, deux Cygnes tuberculés, des Cisticoles des joncs, un Grand cormoran qui sèche ses ailes, et des Panures à moustaches que l’on voit passer brièvement.

Nous nous éloignons des habitations qui bordent le plan d’eau, toutes barricadées derrière des clôtures opaques qui ne respirent pas l’hospitalité. La carte nous fait pressentir que nous serons tranquilles le long du canal de Seròs alimenté par la retenue. Un Chevalier guignette s’envole à notre vue alors qu’il était tranquille sur une des plantes qui poussent dans les anfractuosités des berges bétonnées. Plus loin une Huppe fasciée qui chante nous fait ralentir la cadence, et le son des guêpiers nous arrête net. Ils sont là ! Posés sur le fil électrique ! On a enfin tout le loisir de contempler ces oiseaux fabuleux aux couleurs exotiques. On se trouve justement sur une sorte d’aire de retournement à moitié gagnée par les genêts qui conviendra pour la nuit.

Huppe fasciée, Étourneaux unicolores et Guêpiers d’Europe
Guêpier d’Europe
Guêpier d’Europe
Canal de Seròs
Bivouac d’Utxesa

4 Avril. Les guêpiers ne sont pas restés longtemps mais ce matin, nous avons la chance d’observer longuement deux Torcols fourmiliers qui se répondent en cris nasillards et puissants qui détonent avec la discrétion et la taille de cet oiseau délicat. «  La strophe de 8 à 14 sons, parfois plus d’une vingtaine, est répétée cinq à six fois par minute, un peu montante au début puis restant à la même hauteur, sans beaucoup de variations. » (Géroudet). Un oiseau de la famille des pics qui passerait complètement inaperçu s’il ne chantait pas, son plumage étant un véritable camouflage sur les écorces des arbres.

Torcol fourmilier
Torcol fourmilier
Etourneaux unicolores
Hirondelles rustiques
Hirondelle de rivage

Aujourd’hui c’est notre dernier jour en Catalogne, car à partir de la rivière Cinca nous passons officiellement en Aragon. Mais avant ça, nous avons un peu de dénivelé sur la planche pour atteindre le plateau à l’Ouest d’Aitona.

Le relief est ponctué de vielles bâtisses en pisé qui ont fondu comme du sucre avec le temps. Les Cigognes blanches et les Milans noirs sont omniprésents dans ce secteur depuis que nous avons traversé le cours du Segre. Le plateau que nous arpentons est une mosaïque de fruitiers : des champs de figuiers noueux d’avoir été tant taillés, des lignes d’amandiers qui donnent déjà des fruits, et des pommiers bien gardés par des molosses à qui notre tête ne semble pas revenir. Étonnamment, on observe une vingtaine d’Échasses blanches et un Héron pourpré dans ce milieu. En regardant plus précisément la carte, on voit en effet une multitude de bassines de rétention et quelques petites roselières.

Ruine à Aitona
Aitona
Aitona
Cigogne blanche à Aitona
Le Segre
Héron pourpré

On contourne l’autoroute par une zone industrielle où sont postés des travailleurs journaliers qui tuent le temps devant les entrepôts. L’un d’eux a des galets dans les mains. On a une petite frayeur car il se dirige vers nous. Mais ses yeux fixent autre chose, un lapin qui vient de prendre la fuite à temps. Jette-t-il des pierres pour tromper l’ennui ou par nécessité ?

On est contents de prendre nos distances.

Il est maintenant temps de s’insérer sur la voie rapide, seul itinéraire possible jusqu’à Fraga. Heureusement que c’est une grande descente ! Gabriel se prend un énorme nid de poule sur le pont de la Cinca, en même temps qu’un torcol lance sa strophe (qui pourrait presque rappeler un ricanement vu les circonstances).

Fraga est notre point de ravitaillement pour la semaine. On charge un peu plus que d’habitude nos sacoches en prévision d’une pause en camping et des jours fériés qui suivront. On devrait pouvoir tenir cinq jours, voire six si l’on se rationne un peu.

Criquet égyptien, Fraga

Il nous reste une quarantaine de kilomètres sur la nationale. Une grande ligne droite pénible sous le soleil et qui débute avec deux kilomètres et demi à 8% de pente continue. Nous multiplions les pauses et comptons à rebours les kilomètres qu’il nous reste. À mi-parcours, le village de Candasnos nous offre une halte ressourçante : on repart avec la chemise et le chapeau imbibés d’eau fraîche pour mieux supporter le soleil.

Sortie de Fraga

Nous atteignons enfin notre but en arrivant au camping de Valfarta, au Nord de Bujaraloz, les jambes engourdies par l’effort. Programme des deux prochains jours : repos, entretien des vélos, rédaction du blog et micro-sorties ornitho pour Marine. La date de notre départ du camping est fixée en fonction du programme de Laurent (un des formateurs de la formation LPO que Marine a suivi) et son groupe d’ornithos isérois. Heureuse coïncidence, leur séjour en Aragon correspond à quelques jours près à ce que nous avons planifié. En calculant bien nos étapes, nous allons pouvoir nous retrouver sur la réserve du Planerón ! Laurent nous donne des tas d’indications sur les coins à oiseaux et les possibilités de bivouac sur le chemin, car il connaît la région comme sa poche.

Camping de Valfarta
Pleine lune du 5 Avril

7 Avril. Nous passons la moitié de la journée à ranger nos affaires puis mettre en ligne le dernier article sur la terrasse du café du village, sous le clocher de l’église survolé par une colonie de Faucons crécerellettes. L’étape de l’après-midi est courte, donc on prend notre temps pour éviter de partir au moment où il fait le plus chaud. Nous prenons la direction Sud en passant par Bujaraloz, où le temps semble s’être arrêté. Personne dehors, stores baissés… quand c’est férié, ils ne font pas semblant !

Valfarta
Route de Bujaraloz
Champ irrigué (en pleine journée !)

Des petites lagunes repérées sur notre chemin se révèlent être des dépressions à sec couvertes d’une croûte de sel qui sent le poisson pané. Aucune chance de voir un oiseau là-dedans ! Idem sur la plus grande, Laguna Playa, qui devrait être plus intéressante en hiver lorsqu’il y a des précipitations. Tout ça au milieu des champs irrigués et des élevages d’animaux à la puanteur saisissante.

Lagune à sec

On s’éloigne de la route principale pour trouver des pistes un peu plus arborées, bordées de tas de blocs de quartz blanc sur lesquels les Traquets motteux se laissent observer. Les haies de petits cyprès et autres arbustes secs sont fourrés de Fauvettes pitchou. Joli nom, pour désigner cet oiseau dont le mâle arbore un plumage bicolore bleu-gris et rose vineux.

Au terme de nos aventures hors-piste, nous jetons notre dévolu sur la cour d’une ferme couverte d’herbe grasse et d’un genre d’orge sauvage. Une chevêche bien active se manifeste en début de nuit, et les lapins grignotent autour de la tente (pourvu qu’ils ne s’attaquent pas aux haubans), ce qui ne nous empêche pas de dormir profondément.

Chevêche d’Athéna
Asphodèle
Bivouac de Bujaraloz

8 Avril. La route commence dans des labours vallonnés dont sortent des îlots arborés et des monticules de quartz qui n’ont pas pu être domptés. Cette alternance de milieux ouverts et de refuges denses a l’air de convenir aux pitchous, que l’on observe sans parvenir toutefois à les prendre en photo. On surprend aussi le premier Rougequeue à front blanc de ce printemps ! Un beau mâle silencieux, noir et ocre avec une tâche blanche sur le front. Contrairement au Rougequeue noir, c’est un migrateur transsaharien. En remontant dans les archives de cyclopithecus, notre première observation au printemps 2022 remonte au 4 Mai, au beau milieu de la Suède. Jusqu’où celui-ci ira-t-il ?

Une fois dépassée la dernière zone boisée, nous descendons vers une grande plaine aride. Ça ressemble à la plaine de Crau avec tous ces monticules de pierre, et les quelques ruines. Sur l’une d’entre elles nous observons une Chevêche d’Athéna. À cette distance on pourrait croire qu’elle nous regarde alors qu’elle est de dos, le dessin du plumage faisant apparaître comme une fausse tête. Les faucons, traquets et alouettes sont abondants mais nous faisons peu de pause car la chaleur nous assomme déjà. Il nous faut de l’ombre !

Chevêche d’Athéna
Cochevis de thékla
Hélianthème
Buissons à fauvettes

Nous trouvons un abri sous roche pile en face d’une falaise indiquée par Laurent. Un Monticole bleu et un Traquet rieur sont effectivement au rendez-vous ! En plus du premier Tarier des prés (grand migrateur lui aussi), des guêpiers et des pie-grièches (méridionale et à tête rousse). Mais notre ombre réconfortante se réduit de minute en minute, à mesure que notre planète tourne. Et notre tête avec ! Nous supportons mal cette exposition permanente. Et c’est maintenant décidé, nous n’irons pas plus au Sud que ça : nous amorcerons notre retour après les steppes du Planerón.

Encore quelques kilomètres sur une route qui coupe à travers des falaises en strates ocres magnifiques, et nous apercevons enfin l’oasis : Sástago, village au creux des falaises couleur brique, installé sur la rive fertile de l’Ebre. Longue pause à la station service, où nous faisons le plein d’eau potable et attendons à l’ombre que notre tête refroidisse un peu. Les vacanciers défilent, le coffre plein et le visage fatigué par la route. Puis nous prenons doucement la direction du bivouac indiqué par Laurent. Les berges sont fréquentées par les pêcheurs et les familles, on s’en éloigne donc un peu pour trouver un endroit calme où s’étendre dans l’herbe et attendre que les rapaces nous passent au-dessus (le concept du bed-birding). Nous pouvons ainsi observer sans effort les Milans noirs (très bavards), les Vautours fauves et les Vautours percnoptères.

Abri sous roche
Sur la route de Sástago
Pie-grièche à tête rousse
Bivouac de Sástago

9 Avril. On se réveille avec le chant du Moyen-duc. Pour une fois, il y a un peu de condensation sur la toile de tente. On serait bien restés plus longtemps à écouter les grives, les mésanges et le rossignol qui lance hardiment ses vocalises. Le petit bémol, c’est que l’on découvre des tiques en repliant le double-toit. Pourvu qu’on ne se soit pas fait mordre.

Escatrón

Notre but est de pédaler le plus possible tant qu’il fait bon et de trouver un endroit où laisser passer les heures chaudes, car quand les prévisions indiquent 27 degrés, c’est au moins 37 au soleil. Nous prenons de la hauteur sur l’Ebre en montant de nouveau sur le plateau pierreux en direction d’Escatrón. D’ici, les falaises ressemblent à un millefeuille de pierre dorée contrastant avec les jardins verdoyants du lit du fleuve. À la sortie d’Escatrón, que nous atteignons rapidement, le relief se soulève de nouveau pour nous emmener sur un grand plateau agricole, où sur chaque pylône de ligne haute tension est posté un vautour. La dimension des parcelles est impressionnante, tout comme les couleurs de poterie délavée des labours.

Vautour fauve
Entre Escatrón et Azaila
Environs d’Azaila

Au terme d’une longue ligne droite, éblouis par la lumière crue, nous arrivons au village d’Azaila, où nous trouvons ce qu’il nous faut : de l’ombre et de l’eau. À seize heures, il fait encore trop chaud, nous reportons un peu notre départ vers la réserve du Planerón, distante d’environ dix-huit kilomètres.

Hirondelles de fenêtre
Tourterelle turque
église d’Azaila

Les vêtements imbibés d’eau de la fontaine sèchent presque instantanément. La piste commence à la hauteur d’une série d’éoliennes et se teinte du beige au rouge à mesure que nous pénétrons dans un nouvel univers.

Aigle royal

Face à nous apparaît un paysage lunaire haut en couleurs. Une plaine nous sépare du plateau de la Lomanza, dont les contreforts érodés montrent dans toutes les nuances du gris au rouge, le passé de sa formation géologique et l’épreuve du temps.

La réserve du Planerón se situe dans la plaine cultivée. Une réserve créée en 1992 dans le but de préserver le milieu steppique menacé par l’agriculture intensive, agrandie au fil des années par des rachats successifs de parcelles.

Nous attendons un instant au bord de l’étang principal, le temps de voir passer des Busards cendrés, quand on nous fait signe de loin depuis une voiture. Les isérois sont arrivés ! Sylvain, Christelle, Yves et Laurent ont déjà sorti les longue-vues pointées sur un Sirli de Dupont qui chante. Nous n’étions qu’à deux cent mètres sans rien entendre. C’est vraiment sur ce point précis qu’on les observe le mieux d’après Laurent.

Un fourgon arrive dans notre direction. On écarte notre matériel pour le laisser passer mais le véhicule s’arrête. La passagère arbore un grand sourire et interpelle Laurent, aussi stupéfait qu’elle de se retrouver ici. Françoise et Olivier, isérois également, sont en voyage vers les destinations ornitho de l’Espagne. Françoise a suivi la formation LPO dont Laurent encadre une partie des sorties de terrain, ce qui fait qu’en ajoutant Sylvain, Christelle, Yves et Marine ; Laurent a contribué à réunir au Planerón cinq personnes qu’il a formées.

Un peu plus d’un an que nous ne l’avions pas vu et il reste fidèle à lui-même : un concentré d’enthousiasme et d’énergie, surexcité quand il s’agit d’observer les oiseaux, et d’une grande générosité pour partager sa passion.

Une vieille camionnette blanche fonce vers nous, dans un panache de poussière qui aurait pu nous rendre aveugles si on avait pédalé derrière.

– Ça, c’est pas quelqu’un qui vient voir les oiseaux, plaisante-t-on.

Le véhicule s’arrête à notre hauteur et le conducteur nous dévisage de haut en bas. Un homme âgé, bruni par le soleil pose son avant-bras rouge sur la portière et nous adresse la parole en donnant un coup de menton. Son espagnol est difficile à comprendre car il mange les dernières syllabes.

– C’est pas souvent qu’il y a autre chose que des retraités par ici. Vous êtes là pour les oiseaux ?

On acquiesce, enfin pour ceux qui comprennent. Il continue, visiblement avide de savoir d’où l’on vient et où l’on va dormir. C’est un agriculteur du coin, soixante-dix ans et toujours pas à la retraite (vous en France c’est un peu le bazar avec vos manifestations, là!).

Laurent repère un long étui de coton beige sur le siège passager et lui demande (faussement naïf) à quoi cela sert.

– La carabine? Si vous saviez… (on a un peu peur de la suite). Il pose une main calleuse sur sa poitrine et poursuit.

– Pour tout vous dire, j’ai un petit chat qui m’a mangé le cœur (traduction littérale) et que je nourris en tuant des lapins.

Sur ce, il nous souhaite bonne continuation et fait demi-tour devant nous, sans considération pour les touffes de thym qu’on évitait soigneusement de piétiner. Il était simplement venu nous voir.

Nous restons au même endroit, à discuter devant la steppe aux sirlis, jusqu’au coucher du soleil. Laurent a tout prévu pour la suite : coin bivouac tranquille à quelques kilomètres (que nous rejoignons à la lumière de nos frontales), tapas à volonté, et un bon Rioja pour accompagner tout ça. Clou de la soirée, nous confondons les saveurs d’eau-de-vie maison, au point de devoir se resservir pour être bien certain d’avoir distingué la verveine du génépi. Nous gagnons tout guillerets nos tentes respectives, et nous donnons la consigne de réveil pour être de retour sur la steppe des sirlis à l’aube.

10 Avril. Pour récompenser nos efforts d’un réveil ultra-matinal et d’un lever de camp à la frontale, les Sirlis de Dupont sont au rendez-vous dans la lumière du matin. Le contre-jour dessine le contour de l’oiseau d’un trait lumineux qui met en valeur sa silhouette au long bec courbe. D’autres apparitions ultérieures nous permettent d’apprécier toutes les nuances du plumage.

Sirli de Dupont

Françoise et Olivier viennent compléter l’équipe et nous discutons joyeusement sous le soleil qui monte, et que les cirrus nous voilent légèrement. Nous avons tout le loisir de nous entraîner à l’identification des Alouettes pispolettes et calandrelles entre deux apparitions de sirlis. Ajoutons que trois Tariers des prés viennent de débarquer dans le secteur pour le plus grand plaisir du groupe, dont les longue-vues virent de bord simultanément pour se braquer sur ces grands migrateurs au sourcil blanc.

Tarier des prés
Sirli de Dupont
La fine équipe des isérois

Il est temps d’explorer le reste de la réserve pour tenter de voir les gangas. L’avantage de la réserve est de concentrer des secteurs propices, ce qui nous demande peu de déplacements. Nous pouvons ainsi suivre la voiture et nous laisser guider pour le reste de la matinée. Un arrêt plus tard, nous entendons avant de les voir en vol des Ganga cata qui s’éloignent vers l’Ouest. Aterrira, aterrira pas ? On poursuit dans la même direction mais le chemin que nous devions emprunter pour faire une boucle n’a pas été tracé.

Ganga cata en vol

Nous nous trouvons devant un grand labour impossible à traverser en voiture. Nous poursuivons à pied en suivant tous le même sillon, dans les mottes de terre qui nous tordent les chevilles. Deux Gangas cata se sont posés hors de portée de jumelles. En allant jusqu’au bout du champ, on arrive à apercevoir la moitié d’un morceau de tête de cette « perdrix des steppes », gâchée par les herbes et les remontées de chaleur.

Demi-tour à travers le labour. Nous récupérons nos vélos pour le traverser de nouveau, alors que le reste du groupe contourne largement en voiture. Nous passons devant des secteurs indiqués par Thierry, photographe rencontré aux Aiguamolls et lecteur enthousiaste de cyclopithecus, avec qui nous sommes restés en contact.

Nous avons moins de chance qu’avec les sirlis, et il faut se résoudre à se dire au revoir devant les cônes d’éboulis de la Lomanza. Les isérois repartent pour Lérida, et nous vers Codo pour trouver (comme d’habitude) de l’ombre et de l’eau.

En chemin Marine s’arrête pour regarder les Busards cendrés en plein numéro de voltige. Gabriel attend à l’ombre des tamaris, assommé par la chaleur. Nous prenons le déjeuner au pied de l’église de brique, tant que l’ombre portée du mur du parvis nous le permet. Une vieille femme courbée par l’âge, cheveux blancs coupés en carré sévère retenus par un serre-tête, ouvre l’église. Elle en ressort et nous demande si « ça sonne ».

– Une femme est morte. Nous apprend-elle en fermant à clé la lourde porte en bois.

Les cloches ont en effet commencé à fonctionner, deux notes lugubres qui résonnent dans la campagne pendant un bon quart d’heure. Ding… Doooong… Ding… Doooong…

Le soleil nous pousse à chercher un autre endroit pour les reste de l’après-midi. Nous descendons les rues désertes de Codo jusqu’au jardin d’enfants jouxtant un petit étang. Il y a un point d’eau, non potable jusqu’à nouvel avis, peut-on lire mais ça devrait aller (la gérante du bar a refusé de remplir nos gourdes mais nous a indiqué cette fontaine).

Quelques habitants apparaissent, le pas traînant et rasant les murs. Trois anciens se réunissent en bâillant sur la table de béton derrière nous. Une dame se tient le front. Ils ont beau être nés ici, la chaleur les fait souffrir autant que nous.

Nous partons quand les ombres commencent à s’allonger pour faire un deuxième bivouac au même endroit qu’hier. Nos provisions se sont écoulées, nous avons tout juste de quoi manger ce soir. Nous quittons donc les steppes dès demain en direction de Fuentes de Ebro. Les grillons nous vrillent les tympans à la tombée du jour, couvrant le cri des oedicnèmes et du râle d’eau.

Insectes-sonnerie
Bivouac de Codo

11 Avril. Nos derniers instants dans la réserve sont couronnés d’un vol de cinq Gangas unibande, espèce qui se distingue par son ventre noir et son cri roulé très différent de celui du Ganga cata.

Ganga unibande

Nous entendons un sirli chanter, dernier cadeau des steppes avant de nous engager sur une piste caillouteuse débouchant sur un horizon de panneaux solaires. Laurent nous avait mis en garde la veille sur ce carnage paysager : des champs de cellules photovoltaïques à perte de vue.

future plantation de panneaux solaires

Après une longue ligne droite dans les galets qui font tout vibrer (heureusement que Gabriel a resserré toutes les vis de nos vélos hier!), nous bifurquons à la hauteur d’un chenil où les pensionnaires nous alpaguent. Les naturalistes ne nous pardonneront certainement pas notre excès d’antropomorphisme, mais on ne peut pas s’empêcher d’interpréter leurs aboiements :

-Moi ! Moi ! Prenez-moi, je suis le plus gentil des toutous !

-Moi ! Moi ! J’adore les gratouilles et je monte jamais sur le canapé !

Un dernier effort et nous sommes arrivés sur l’asphalte lisse, et la proximité de la ville se fait sentir peu à peu. Cimetière, panneau stop, voitures, Hirondelles de fenêtres, cris d’enfants, et nous arrivons dans un jardin devant des établissements scolaires. Il sera parfait pour déjeuner une fois les courses faites.

Les premiers kilomètres de l’après-midi ne sont pas des plus amusants, sur une voie rapide avec des semi-remorques. À quelques exceptions près, nous nous faisons bien doubler. Les espagnols sont incroyablement courtois sur la route : dépassement large sur l’autre voie (comme s’il s’agissait de doubler une voiture) et clignotant systématique. On n’avait pas vu ça depuis la scandinavie.

Une station essence tombe à pic pour remplir la bouteille de notre réchaud à essence. L’employée nous la remplit sans poser de question, alors que cela posait problème en Catalogne (on risquait soit-disant des milliers d’euros d’amende à transporter du combustible dans une bouteille non homologuée, alors que le réchaud est précisément prévu pour). Une petite chatte noire aux yeux verts vient demander des caresses.

Encore un peu de piste à travers des champs de colza dans lesquels chassent des Busards cendrés puis nous retrouvons la route principale plein Ouest jusqu’à la bifurcation indiquant Monegrillo. Nous avions repéré une chapelle sur la route, dont le promontoire a l’air parfait pour installer notre camp. Il y a de l’ombre, un banc, des oiseaux. Une chouette se déplace sur le mur de la bergerie en ruine d’à côté. Que fixe-t-elle au sol de ses grands yeux jaunes ? Un Traquet oreillard se perche. La couleur de la terre lui va si bien. Quelques instants plus tard, un renard s’avance dans notre direction. Il ne nous a pas encore détectés. Qu’il est beau dans la lumière du soir !

Route de Monegrillo
Traquet oreillard

12 Avril. La chevêche est toujours au même endroit. Après l’avoir longuement observée, Marine se met en tête d’aller la prendre en photo. Mais dès son arrivée le rapace nocturne disparaît de l’autre côté de la cour. Marine longe le mur opposé, et ne fait dépasser que sa tête et l’appareil. Elle est là, le regard fixé sur cette étrange apparition au-dessus du mur.

Chevêche d’Athéna

Nous quittons le domaine de la chouette, des pitchous et des oreillards pour poursuivre vers le Nord Est. La campagne est peu à peu plus arborée. On voit apparaître des Vautours fauves et des Milans noirs non loin d’une pâture sèche où l’on se demande ce que peuvent bien trouver à manger les brebis. Pause à Monegrillo où les seuls habitants que l’on croise sont en pantoufles ou en fauteuil roulant. Le vent se lève et fait claquer les drapeaux sur la façade de la mairie. Mais nous l’aurons à peu près dans le dos pour grimper le morceau de relief qui nous attend pour la suite.

Pie-grièche à tête rousse
Pie-grièche à tête rousse
Milan royal
Vautour fauve
Ferme sur la route de Monegrillo
Collision mortelle
Cochevis huppé
Monegrillo
Moineau domestique (opportuniste)
Hirondelles de fenêtre (les voisines)

Contrairement à ce matin, les cultures sont très étendues et nous sommes un peu soulagés de retrouver les bois de pins avec des merles et des mésanges. Dans notre ascension, alors que Gabriel photographie une Pie-grièche à tête rousse très coopérative, Marine aperçoit un groupe de quatre rapaces clairs suivant la même trajectoire. Il y a deux Circaètes Jean-le-blanc mais le dessin des autres est tout nouveau. Corps clair, tête plus foncée et extrémité des rémiges sombres à l’aspect délavé. D’après le guide, il pourrait s’agir de l’Aigle botté.

Pie-grièche à tête rousse
Aigle botté

Nous arrivons au terme de cette côte sur une sorte de col donnant sur un plateau agricole. On choisit de faire notre recherche de bivouac côté pinède où l’on a plus de chance de trouver un abri contre le vent. Il y a une butte débroussaillée en belvédère sur la canopée mais trop visible. On trouve finalement en contrebas de celle-ci un tout petit replat que nous devons débarrasser de tous les résidus de débroussaillage qui pourraient percer notre matériel.

On constate avec horreur que la toile de tente est imprégnée de cacatcha. Il ne s’agit pas d’une danse d’Amérique latine mais de l’odeur des engrais qui ont pris d’assaut nos narines la nuit dernière, au point de nous réveiller en plein sommeil. La vue sur la canopée de pins est magnifique. On lit justement que nom de la région « Monegros » (les monts noirs) vient de l’état originel de la région qui était couverte de pins avant d’être cultivée.

Vérification du terrain sous l’emprise de la tente
Bivouac de Castejón

13 Avril. Le soleil se lève sur notre bivouac, mais peine à nous réchauffer tant le vent est frais. Nous descendons sur Castejón de Monegros par une campagne parsemée de plus grands arbres que la veille. Nous recroisons le chemin de deux aigles bottés (un secteur décidément intéressant pour l’espèce). Le reste de la journée est monotone, et rendu difficile par le vent de face. À Sariñena nous arrivons à nous abriter pour prendre du repos avant de repartir. La lagune que Marine voulait explorer est battue par les vents, avec de l’écume à la surface, ce n’est pas la peine de tenter de s’en approcher.

Nous n’avons encore aucune idée du prochain bivouac. Il faut seulement s’approcher de Barbastro, la prochaine ville de ravitaillement.

Sariñena

Le vent met à l’épreuve nos nerfs et nos genoux toute l’après-midi. On décide de faire une pause au prochain village que l’on trouvera. Manque de bol, il s’agit de Berbegal, juché tout en haut d’un promontoire rocheux. On souffle un peu et commençons néanmoins l’ascension.

Un panneau nous signale qu’il s’agit d’une étape du pèlerinage de Compostelle et qu’il y a justement une auberge. Les tarifs sont ceux des pèlerins donc très bon marché. On nous demande si nous sommes en possession du « credencial », le passeport de Compostelle à tamponner. Eh non ! Nous sommes de vrais coquins ! L’adjectif viendrait en effet des faux pèlerins qui utilisait la coquille Saint-Jacques comme laisser-passer (merci Pierre pour l’anecdote!).

Nous aurions pu répondre que nous n’avons qu’un carnet de notes rempli d’oiseaux et qu’un tampon de l’étape de Berbegal n’aurait pas eu beaucoup de sens dessus, mais ça aurait été long à expliquer. On se laisse tenter par une nuit dans un vrai lit, avec une vraie salle de bains, une vue imprenable sur la campagne alentour, et surtout sur ce qui nous attend après : les Pyrénées !

Berbegal

À bientôt pour le prochain épisode dans les montagnes et au frais !

Un grand merci à Laurent et l’équipe des isérois pour ces moments intenses au Planerón. À Thierry L. qui nous encourage à distance et à qui on pense à chaque Traquet oreillard que l’on aperçoit, et à tous ceux qui nous accompagnent par la pensée en lisant nos (trop) longs articles.

Les cyclopithèques au Planerón

8 réflexions sur “30 – Alfés > Berbegal (km 13 438 > km 13 883)”

  1. Merci pour toutes ces magnifiques photos et ces belles histoires les cyclopithèques ! Je trouve que vous avez pris le teint des terres du Planeron … Je vous souhaite de trouver la fraîcheur attendue dans les Pyrénées et de belles observations ( merle à plastron, venturons … ) . J’ai déjà hâte de lire vos prochains  » trop longs » articles…

    1. C’est vrai, on devient de vrais caméléons sur un mur en brique !
      Nous sommes déjà bien gâtés dans les pré Pyrénées avec les rapaces (vautour fauve, percnoptère, gypaète, aigle botté, circaète…), La suite au prochain épisode 😉

  2. Olla!
    C’est toujours un immence plaisir de vous lire, de boulinguer a travers vos images et vos recits, merci bises aux migrateurs pisteurs de plumes =:0)

  3. Chers vous deux
    C’est toujours un ravissement de vous accompagner à tire-d’aile sur les chemins creux et pistes peuplées d’oiseaux. Que d’images, de sons, de senteurs ! Et même de coups de chaleur… Votre odyssée devient un peu la mienne lorsque je vous lis, si proches, si familiers ! Merci !
    Cependant, j’attends avec impatience votre rencontre avec kiwis, autruchons gris et, qui sait… dodos.
    Votre doux archéoptérix grenoblois vous bequette
    Pierre

    1. Jean-Marc Lustrat

      C’est compliqué de savoir ce qui est vraiment autorisé et interdit en Espagne comme le bivouac par exemple. Idem pour le transport d’essence. Je pense que quand il n’y a pas d excès il n’y a pas de soucis. Effectivement la chaleur est vite un problème en Espagne surtout en vélo. Soyez prudents avec la chaleur… Bonne continuation Jean Marc

  4. marie bardet

    et oui c’est vrai le bivouac est interdit en espagne . La notion légale du bivouac en Espagne se joue sur la présence ou non d’un abri et NON sur le nombre de nuits passées sur un même lieu!
    👉 Un abri vu par la règlementation espagnole, c’est quoi? Toute structure qui doit être montée pour dormir: tente, tipi, dôme, tarp, hamac (!), construction rudimentaire faite de branches ou autre, etc.
    👉 A partir du moment où vous dormez avec un abri, vous êtes soumis aux règles du camping sauvage, même si vous ne dormez qu’une nuit sur place
    👉 Seuls matelas et sac de couchage permettent d’être classés dans la catégorie du « vivac »

    https://santiagoinlove.com/fr/bivouac-espagne-regles-legislation-loi-legal/

    on rajoute une legislation différente selon les regions et cela devient un veritable casse tete

  5. Hélène Deschamps

    mais non, ils ne sont pas trop longs, vos articles ! Moi, je les lis en plusieurs fois, et les photos sont magnifiques. Bon courage, mes chéris ! Hélène

  6. 1 p’tit bonjour des Boidans.
    toujours aussi impressionné par votre connaissance des oiseaux, et par vos mollets !!
    Je viens de m’apercevoir que l’on pouvait laisser des commentaires ….En voilà du contenu pour une seconde soirée au Barabock.
    René…des Boidans.

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