22 – Świnoujście > Jelenia góra (km 8727 – km 9330)

  • 2022/09/21 Repos à Świnoujście
  • 2022/09/22 Świnoujście – Karsibor, 30 km. La nuit du brame
  • 2022/09/23 Karsibor – Skoszewo, 50 km. La plage du renard
  • 2022/09/24 Skoszewo – Lubczyna, 55 km. Des roselières et une tête de sanglier
  • 2022/09/25 Lubczyna – Szczecin, 25 km. Ensablement dans la pampa polonaise
  • 2022/10/01 Szczecin – Swedt, 71 km. L’Oder rive Ouest, côté allemand
  • 2022/10/02 Swedt – Neulewin, 56 km. Alerte à la peste au dortoir des grues
  • 2022/10/03 Neulewin – Przyborów, 63 km. L’embouchure de la Warta
  • 2022/10/04 Przyborów – Rzepin, 44 km. klimat kaput !
  • 2022/10/05 Rzepin – Dabie, 59 km. L’étang des castors
  • 2022/10/06 Dabie – Lawszowa, 79 km. Inauguration du nouveau réchaud
  • 2022/10/07 Lawszowa – Brunów, 42 km. Petite centrale hydroélectrique sur la Bóbr
  • 2022/10/08 Brunów – Jelenia góra, 39 km. Les montagnes de la frontière tchèque

Mercredi 21 Septembre. La nuit sur les sièges raides du bateau à été difficile. A 5h30 retentit la première annonce en polonais pour inviter les passagers à venir rejoindre le restaurant. Très vite nous arrivons au port de Swinoujscie et devons rejoindre nos vélos car nous débarquons en premier. Après quelques camions, c’est notre tour. Ça y est nous sommes en Pologne. Direction le bac qui nous permettra de rejoindre la ville, côté Ouest de la rivière Swina. Il n’y a pas de pont, c’est le seul moyen de passer d’une rive à l’autre.

Un lever de soleil spectaculaire illumine les toitures de la ville qui se réveille. Les balayeurs, les collégiens, les passants s’activent et s’appliquent à leurs tâches. Encore sonnés de notre nuit nous improvisons un petit déjeuner sur un banc de la place Wolności puis allons chercher le soleil sur les quais où est amarré le Princess, une navette de visites touristiques. L’idée de rejoindre un camping devient rapidement évidente. Il faut que nous terminions notre nuit, ou que nous la commencions, nous ne savons pas très bien.

jeudi 22 septembre. Dans la cuisine du camping, l’eau bout dans une casserole à la décoration florale démodée. De l’eau bouillante dans notre thermos et c’est notre repas chaud du soir qui est assuré, alors on profite de la cuisinière qui nous est mise à disposition. Nous sommes sur le départ et il fait frais, ce matin on aurait presque besoin de gants.

Ravitaillement dans le premier supermarché polonais: Gabriel en ressort enthousiaste « tellement de nouveaux produits et une nouvelle ambiance. En plus je ne comprends rien de rien, j’ai pris un truc qui pourrait être du fromage blanc, enfin j’espère. » C’est surtout tellement moins cher qu’en Scandinavie, on va enfin pouvoir manger plus de légumes !

La sortie de la ville est rapide, le fléchage de l’itinéraire vélo est bien fait. On pédale le long d’un canal pour rejoindre une réserve qui s’avère finalement très difficile d’accès à vélo. En chemin, un vison rend visite à Gabriel. Le petit animal s’approche tout près, se dresse sur ses pattes arrières et renifle en direction du vélo. Se déplace un peu plus à gauche et refait de même, il n’a pas l’air de l’avoir vu. Lorsque Marine arrive, il se cache sous une des roches qui forment la digue et n’en ressort plus. Plus tard on apprendra que ce mammifère n’a pas une très bonne vue et celui-là ne devait pas avoir un très bon flair, vu la proximité qu’il a établie avec un humain. Il s’agit probablement d’un Vison d’Amérique, une espèce introduite pour l’élevage de fourrure et considérée aujourd’hui comme invasive.

On tente d’autres chemins pour finalement accéder par un sentier tout terrain et pour lequel nos vélos ne sont pas adaptés. Quelques kilomètres plus loin nous arrivons soulagés à un observatoire parfait pour une pause, placé dans une clairière où retentissent les cris de trois pics différents : le Pic noir, le Pic épeiche, et le Pic épeichette, nous profitons des grosses tables disposées au pied de la tour d’observation qui culmine à une dizaine de mètres de hauteur.

Une fois nos estomacs rassasiés on fait demi-tour pour aller attraper un bac un peu plus loin et poursuivre notre route vers le bivouac de ce soir. Les vélos vibrent sur les dalles de béton perforées, cela demande beaucoup de concentration pour rouler sur les parties lisses. Nous arrivons à l’embarcadère pile au moment où l’embarcation se vide des derniers véhicules venus de l’autre côté. Espérons que l’île de Karsibór nous permettra d’y passer la nuit.

L’île est pour partie habitée, et une grande zone humide est classée en réserve naturelle. En arrivant sur place, nous jaugeons à l’étendue des roselières que notre bivouac se complique. Le lieu est couvert de roselières, les herbes sont hautes et la terre détrempée.
Heureusement, quelques centaines de mètres plus loin, à proximité d’un observatoire si délabré qu’on ose y grimper, il y a un champ de pâture non clos à l’herbe rase. Seul bémol, les abords sont bien retournés par les sangliers. On se choisit le carré d’herbe que l’on juge le plus sec et le plus éloigné des traces de bêtes à groin. Les vélos sont placés debout en quinconce, l’un sur l’autre et bien stables. Ça fera un pare-sangliers  du plus bel effet.
Quelques busards font leur apparition en vol chaloupé sur les phragmites. Un faucon indéterminé passe en flèche au ras du champ. Il ressemble à un hobereau juvénile mais pas tout à fait. Peut-être un jeune Kobez si ça se trouve. Il va falloir être plus alerte et travailler les critères d’identification ! Un photographe en tenue de camouflage se dirige vers le plan d’eau où ont atterri des dizaines de Bécassines des marais. Il installe son affût plus loin, à la limite de la vase.

L’humidité arrive subitement. On prend le repas à l’intérieur de la tente et nous endormons avec des meuglements étranges qu’on prenait pour ceux de vaches. C’est le brame de plusieurs cerfs dans le lointain… Quel jour sommes-nous déjà ? L’équinoxe d’automne ! Quelle merveilleuse façon de le célébrer.

Vendredi 23 Septembre. Aucune visite de sanglier cette nuit. Malgré cela, Gabriel n’a pas dormi l’esprit tranquille. Un nuage de vapeur flotte au-dessus du sol. L’atmosphère embrumée est particulièrement belle avec les premiers rayons du soleil qui font scintiller les toiles d’araignées tissées dans les herbes. Nous plions le camp rapidement dans l’idée de faire sécher la tente plus tard.

Marine fait un dernier tour sur la digue de sable et revient un quart d’heure plus tard en courant. «Il y a des Panures à moustaches, il faut retourner les voir, elles sont posées là-bas! »
Nous posons les vélos chargés sur leur nouvelle béquille (un bâton de randonnée acheté en arrivant en Pologne) et repartons en leur direction pour essayer de les photographier.
C’est un des oiseaux les plus captivants des roselières. La tâche noire s’étalant sous chaque œil des mâles lui a donné son nom : Panure à moustaches. Aux jumelles, on distingue le regard perçant de ces oiseaux aux yeux clairs. Nous en avions cherché dans les roselières au Danemark début Avril, sans succès. On s’est satisfaits des spécimens empaillés de plusieurs centres. Le reste de notre itinéraire en Suède contournait sa zone de répartition, si bien qu’il a fallu attendre jusqu’ici pour en voir. Devant nous, elles s’envolent ensemble.

Pour ce premier repas de la journée, nous dégustons la confiture d’églantier sauvage que Kuniko nous a offerte en partant de Falsterbo, un délice ! On y associe ce qu’on prenait pour du fromage blanc la veille et qui s’avère être des micro boules d’un genre de mozzarelle noyées dans du petit lait saumâtre. On est un peu déçus, mais cela fait partie du dépaysement de ne rien comprendre, dans cette langue pleine de « z », et de consonnes par triplettes.

La tente sèche sur les arceaux vélos et forme une silhouette imposante qui inquiète le petit chien de la place. Il rase les bordures du trottoir, tête basse. Le décor a bien changé par rapport à la Scandinavie. Les façades sont parfois si peu entretenues, que les enduits ciment gris lézardés laissent apparaître un patchwork d’éléments de construction : des briques, des aggloméré de béton, du bois… Ici les carcasses de vieilles voitures stationnent dans chaque jardin pour une durée indéterminée au beau milieu des poules et des potagers vivriers. Puis, un peu plus loin, comme sorti de nulle part, parachuté entre deux champs de pâture, un lotissement impeccable de maisons blanches alignées, les toits en tuiles aussi noirs que le bitume frais de l’allée centrale. Quel contraste !

Nous partons en direction de Lubiewo que l’on atteint après une longue piste forestière tout terrain. A la sortie, nous débouchons sur une voie rapide en travaux et l’on se perd dans les échangeurs car le pont que l’on devait prendre est déconstruit. On s’engage en direction de l’autoroute avant de se raviser. Demi-tour en sens contraire sur l’accottement et arrêt salvateur dans une la station essence pour faire le point et déjeuner. On s’essaye à une grosse tartine garnie d’aubergines et de champignons avec du fromage grillé sur le dessus, qu’on engloutit en quelques secondes.

Il est encore temps de raccrocher les wagons et prendre l’itinéraire cyclable qui mène à Wolin qui passe par les petites routes de campagne. Un camion aménagé s’arrête à notre hauteur. Son conducteur nous assure que la portion que l’on s’apprête à parcourir est magnifique et il disait vrai. Les grands hêtres de la forêt de Wolin pourrait être autant d’esprits protecteurs, tout en révérence de rameaux à notre passage.
Nous dépassons le village où l’odeur d’une boulangerie est plus forte que tout en ce milieu d’après-midi. « Fika ? » Gabriel ressort avec des viennoiseries à la crème, sans avoir vraiment choisi ce qu’il voulait, faute de maîtriser le polonais. *il y avait pourtant de si beaux gâteaux vendus à la part ! On déguste nos brioches bourratives au terme de notre étape, sur un des trois bancs de la petite plage que nous trouvons au cinquantième kilomètre de la journée.

Dernière nous un alignement de peupliers géants dessine le fond de notre scène. La baie de zalew Szczecinski s’étend devant nous. Cette petite plage et protégée de part et d’autre par les roselières qui gagnent du terrain sur l’eau et abritent de nombreux oiseaux.
Marine collecte du bois pour le réchaud dans les fourches des peupliers, Gabriel fabrique des sangles avec de la chambre à air pour améliorer nos sacoches. Les Grues cendrées passent, le soleil se couche.
Au moment de rentrer dans la tente, un couple de cyclistes apparaît dans la l’obscurité. Ils nous proposent de partager une bière, alors on se laisse convaincre, c’est la première depuis bien longtemps. Il comptent se rendre à Bornholm, une île danoise de la Baltique dont on a entendu parler plus tard avec les fuites de gazoducs.

Héron cendré
Rougegorge familier
Busard des roseaux

Samedi 24 Septembre. Un renard nous surprend en ouvrant la tente, il a laissé ses traces sur la plage. Peut-être venait il à la chasse aux poules d’eau ?
Nous nous attardons à ce lieu car ce matin c’est un festival d’observations ! Des Martin pêcheurs, des Grandes aigrettes, des dizaines de Panures à moustache, une Rousserolle effarvatte, des Busards des roseaux…
Le spectacle s’amenuisant, on décolle vers onze heures et entamons l’itinéraire qui longe la rive de cet immense golfe de Szczecinski. La digue est éloignée de l’eau par une importante épaisseur de roseaux. À gauche s’étendent des champs à perte de vue ponctués d’arbres morts et de troupeau de vaches trapues. Nous avons l’impression que l’espace s’est dilaté. Toutes les dimensions sont multipliées. Même les champignons sont géants (on a vu une vesse de loup de la taille d’un ballon) !

À Kopice, sur le petit port du bac qui fait traverser en été les cyclistes de l’autre côté du fleuve, nous déjeunons sur une table en bois proche de la décomposition. Ce petit port paraît bien pauvre, fait de buses en béton, posées sur le fond et s’enfonçant irrégulièrement dans la vase, il n’y a pas un bateau qui s’y soit amarré.

Les routes mettent à rude épreuve nos vélos : gravillons, dalle de béton qui pianotent, pavés, sable, terre… Ce n’est pas mieux à Stepnica où la rue principale est impraticable, en aussi mauvais état que les constructions. Nous y faisons un ravitaillement avant de repartir en pleine brousse. L’heure tourne et l’on ne trouve toujours rien de campable. À droite les roselières, et à gauche, en bas de la digue, des champs détrempés. L’abri que nous avions repéré sur la carte est dans un état pitoyable de saleté et de délabrement. On en tire la leçon qu’il ne faudra pas compter sur ce qui est indiqué sur la carte. Nous passons en code rouge car la nuit arrive vite.

Pygargues à queue blanche

Les abords de l’écluse sont habités, dommage, allons plus loin vers cette parcelle derrière un peuplier couché. On se ravise car il est tapissé de vieux pneus ensevelis sous la végétation avec un crâne de sanglier à l’entrée. Mais un peu plus loin, à dix mètres de la piste sur un champ bien sec. Rassurés, on se répartit les tâches pour accélérer l’installation du camp : Gabriel s’occupe du feu (dans notre réchaud à bois de sauvetage) et Marine de la tente. Aux voitures qui passent, nous adressons un salut amical qui nous est rendu. Quelques allers et venues de voitures rompent le silence de la nuit. C’est la fin de semaine, les habitants vont sûrement boire un verre (ou plus) dans le bourg voisin. 

Le matin démarre très mal avec deux kilomètres à suer dans un sable très fin où les pneus s’enfoncent, les champs sont pourtant bien verts de part et d’autre. Nous devons pousser les vélos à la force des bras qui s’ensablent un peu plus à chaque tour de roue. C’est le soulagement quand on retrouve enfin l’asphalte.
Dans la marina de Lubczyna la compagnie d’un chat tricolore et très câlin nous invite à s’installer. Nous profitons ainsi de la vue des voiliers dont Gabriel analyse les carènes et les gréements.

Un peu plus tard dans la matinée nous trouvons une station de lavage dont l’apparence clinquante sonne faux dans ce village aux trottoirs accidentés et boueux. Opération nettoyage réussie: la chaîne ne craque plus et les patins de frein ne font plus de bruit !

Nos montures arrivent toutes propres au camping de Dabie, avant Szeczin où nous prévoyons de faire une grande pause pour bien se reposer. Sans le savoir nous atterrissons dans le jardin de l’auberge de jeunesse en pensant qu’il s’agissait du camping visé. Le réceptionniste nous prévient qu’il y a du passage de sangliers le soir sous les pommiers mais nous sommes tellement contents d’avoir trouvé ce lieu qu’on plante la tente avec hâte derrière le bâtiment. On évite les arbres, au vu du nombre d’étourneaux perchés. Nous pouvons voir la tente depuis la petite cuisine qui deviendra rapidement notre quartier général. Un autre bon point, cette auberge de jeunesse et situé dans une marina, il y a des bateaux de tous les côtés.

Nous y passons cinq nuits consécutives pour nous remettre de ce long épisode scandinave de cinq mois, et faire décanter les souvenirs. Nous savons déjà que nous y ferons une seconde migration et l’on plaisante en disant qu’on a « juste fait du repérage » jusque-là.

Samedi 1 octobre. Finies les grasses matinées, ce matin nous nous levons à 7h30. Nous sommes contents de reprendre la route. L’entrée dans la ville de Sczecin est assez fastidieuse. Au beau milieu des échangeurs routiers le tracé cyclable est assez difficile à suivre. Du côté de la mer nous traversons une énorme zone industrielle et portuaire. De longs et hauts hangars délabrés fait de briques usées témoignent d’une grande activité passée. Puis vient la ville, grouillante, bruyante. Ça sent le métal, la chaux, le béton frais, le diesel.

Comme si rien n’échappait à cette fatalité, la ville s’étend maintenant sur une périphérie triste de plateformes logistiques et commerciales. Ici sont concentrées toutes les enseignes de la grande distribution allemande et française. On comprend ici la notion « d’Europe économique », l’Europe du fric pour le dire plus clairement. La vision d’un énorme complexe Décathlon et Leroy Merlin nous attriste : les bâtiments semblent encore entourés de la poussière de leur atterrissage brutal au milieu des champs labourés.

Notre itinéraire cyclable ne tarde pas à passer en Allemagne. Quel contraste au niveau des pistes : c’est le luxe ! Le revêtement est impeccable, roulant. Nos vélos filent à travers la campagne et si le vent et la pluie n’étaient pas contre nous, ce serait parfait. Après une pause sous un petit abri disposé le long de l’itinéraire le temps se dégrade. Du fond de nos sacoches nous ressortons nos vêtements de pluie. Ça nous rappelle la Norvège, tiens.

Nous rejoignons le cours du fleuve Oder en traversant de très belles forêts qui s’habillent des tons automnaux. Les feuilles rousses jonchent l’asphalte noir et brillante d’eau, les marrons tombés des arbres craquent sous nos pneus. L’après-midi est très humide mais la beauté des paysages de la réserve naturelle de l’Oder nous enthousiasme.

Nous commençons à avoir froid et nous rendons compte que la pluie a fini par traverser nos vêtements : ils ne sont plus aussi étanches qu’à leurs débuts. Les tissus décolorés de nos vestes témoignent de leur usure, la toile est brûlée. Fatigués d’avoir lutté contre les éléments, nous nous offrirons une douche chaude et un camping pour la nuit à Schzedt. Mais avant cela, une chose importante reste à faire. Notre parcours du jour vise un magasin que Marine à pris soin de sélectionner pour y trouver de l’essence raffinée pour notre nouveau réchaud reçu à l’auberge de jeunesse quelques jours plus tôt. Dommage, les portes de la grande surface sont exceptionnellement fermées pendant le long weekend férié célébrant la réunification Allemande.

Dimanche 2 octobre
La réserve naturelle que nous longeons est grandiose dans la lumière du matin. Les nuages sombres laissent passer quelques beaux rayons de soleil qui mettent en valeur telle ou telle partie de ce vaste paysage où s’étend le lit du fleuve. Des groupes d’oies se réveillent parmi les bottes de foin auprès desquelles elles ont probablement passé la nuit. Les grues s’élancent dans des ascensions vertigineuses pour rejoindre les hauteurs qui leur permettront de planer sur des kilomètres. Pour une fois, nos vélos filent bon vent.


De l’autre côté de ce fleuve tortueux, c’est la Pologne. Nous nous en écartons pour passer à la maison du parc, à Criew et y obtenir quelques informations sur la réserve. Nous butinons les prospectus sur la faune et la flore pour repartir ensuite vers le lit du fleuve. On profite de la pause de midi, sur un banc et abrité du vent pour s’exécuter à un petit entretien de la transmission de nos vélos. Marine gratte son dérailleur avec une petite touillette à café, qu’on ne manque pas de récupérer dans les stations service (des grandes touillettes pour atteindre les galets de dérailleurs). On frotte nos chaînes avec cette grosse brosse métallique trouvée dans le fossé d’une route Norvégienne. On huile le tout, et c’est reparti.

Le bivouac de ce soir est choisi stratégiquement par Marine qui a repéré un dortoir de grues et d’oies aux jumelles. C’est un spectacle incroyable que de monter la tente et s’endormir avec ces groupes de grands oiseaux qui vont et viennent. Petit bémol : un panneau sur la clôture attenante alerte sur des cas de peste porcine africaine détectés dans le périmètre, de l’autre côté du portail. Pas de cadavre dans notre secteur, on hausse les épaules et terminons d’installer le camp.

Nous sommes en contrebas de la piste cyclable, qui est de temps en temps utilisée par les riverains en voiture. Tôt ce matin, nous en entendons arriver se garer près du portail. Les portes claquent. Quelques cliquetis. Des voix d’hommes qui ouvrent le portail (ils vont droit dans le territoire de la peste porcine!). Quelques minutes plus tard nous entendons retentir deux coups de feu. Il reviennent à peine trente minutes plus tard, on les imagine charger quelque chose dans leur véhicule, le moteur redémarre et le bruit s’éloigne. C’était donc les cliquetis des fusils que nous n’identifions pas tout à l’heure…
Pour nous qui sommes venus goûter au calme des rives du fleuve pour observer les milliers de grues et d’oies qui trouvent refuge ici, cela nous laisse un goût amer…

Grues cendrées : deux adultes et un jeune

Nous avons le vent dans le dos jusqu’à Kostrzyn nad Odra, la jumelle polonaise de Küstrin. C’est ici que nous basculons définitivement en Pologne pour les prochains jours. Nous rejoignons l’embouchure de la rivière Warta, une des plus vastes zones humides d’Europe, un des parcs nationaux polonais que nous tenons à explorer. Après un ravitaillement une fois la frontière franchie, nous prenons la direction de la maison du Parc national pour obtenir des informations sur les secteurs à privilégier en vélo et pour les oiseaux. Nous sommes accueillis dans le bureau par une femme de l’âge de Marine, la trentaine, en uniforme beige avec l’écusson du Parc : une Oie des moissons. Visage jovial, chevelure blonde, les yeux clairs, elle parle bien anglais et nous indique sur la carte simplifiée du parc les secteurs les plus intéressants du point de vue ornithologique. Elle nous rassure sur le niveau d’eau : il est si bas que nous pouvons emprunter les chemins à vélo sans problème.

En suivant les conseils de la garde du parc, nous prenons la direction de Słońsk, à une dizaine de kilomètres, par une route très fréquentée le long d’un canal. On coupe en deux ce tronçon en faisant halte à un observatoire au pied duquel nous trouvons deux Vanneaux huppés géants. Marine grimpe jusqu’en haut pour admirer la vue. Aussi loin que les yeux peuvent voir, aucune construction. Des grands espaces comme on en rêvait. Plus que quelques kilomètres et nous atteignons Słońsk, où la première chose à faire est de trouver un endroit pour la nuit. Pas question de faire un bivouac, c’est interdit dans le périmètre du parc.

Vanneaux huppés

Nous demandons à la gérante du gîte nature près de l’ancienne station de pompage si un bout de son jardin serait négociable. Nous encaissons un refus poli dans son bureau encombré d’oiseaux empaillés, de matériel d’observation et de livres naturalistes. Elle appelle gentiment pour nous la ferme de Przyborów dont nous avait parlé la garde, une « agroturystyka » (gîte à la ferme) qui nous confirme que nous aurons de quoi camper ainsi qu’un accès à une salle de bains pour quelques zlotys. Pour nous y rendre, nous prenons le chemin de terre du Nord du village, c’est là que nous tombons sur des groupes d’oies qui décollent devant nous, perturbées par une voiture passant en plein milieu des champs humides.
Passé le portail, un homme en pantoufles usées, courbé par l’âge nous fait signe d’avancer dans la cour. Il nous montre le jardin en mimant des deux mains le toit d’une tente « namiot », puis nous montre une des portes du bâtiment en mimant la douche « prysznic ». Comme chaque soir, les oies et les grues défilent au-dessus de notre tente. On distingue maintenant assez bien les cris des Oies cendrées appuyé et nasillard, de celui des Oies rieuses, plus fluet.

Oies cendrées
Oies rieuses

Le lendemain, personne dans la ferme. Nous glissons les cinquante zlotys et une carte de remerciement dans la boite aux lettres. Un dernier câlin aux petits chats, et nous partons en direction de la réserve, à quelques centaines de mètres du jardin où nous avons passé la nuit.
Les grandes étendues de prairies humides invitent à prendre de grandes inspirations. On pose les vélos pour mieux observer autour de nous. Les chevaux et les vaches pâturent, des dizaines de Canards siffleurs sont rassemblés sur les talus boueux d’un mince cours d’eau. Les oies sont plus difficiles à voir, il faudrait se rapprocher encore jusqu’au prochain observatoire. C’est d’ailleurs la fin du parcours, car vu l’état du pont, on ne peut vraisemblablement pas prolonger la visite. Marine pointe la longue vue sur les oies. Un groupe décolle à l’arrière-plan : le pygargue n’est pas loin en effet. Deux collègues supplémentaires cerclent plus haut, attendant la prochaine occasion de fondre sur le tas. Il y a même quelques Bernaches nonnettes dedans !

Cygne tuberculé

Une voiture se rapproche de nous, ça ne peut être que celle des gardes du parc car aucun autre véhicule n’est sensé circuler ici. Nous voyons descendre deux femmes, et reconnaissons immédiatement celle que nous avons rencontrée hier. « Ne vous avais-je pas dit que c’était le meilleur endroit pour les oiseaux ? » nous demande-t-elle en guise de salutations. Elles sortent à leur tour les longues-vues tout en discutant. « J’ai repensé à votre extraordinaire aventure en vélo quand vous avez quitté la maison du Parc, vous avez dû voir tant de choses! ». Au fait, moi c’est Olga dit-elle en nous tendant la main. Sa collègue -dont nous avons malheureusement oublié le prénom dans les présentations, est moins bavarde, mais très souriante. Peut-être maîtrise-t-elle moins bien l’anglais. Elles sont ici en repérage pour accompagner un groupe d’élèves en sortie scolaire dans les jours qui viennent. « Vous avez de la chance, normalement, à cette heure de la journée, les oies sont plutôt dispersées ailleurs. C’est comme si elles étaient restées là pour vous ».

Marine a repéré une oie baguée, avec un collier autour du cou, mais peine à déchiffrer ce qui est inscrit dessus. Olga pivote sa longue-vue et l’invite à mettre l’œil dedans. La qualité est bien meilleure, on peut lire distinctement le code ! Il est temps pour elles de repartir et nous laissent avec les oies de la Warta. Nous tournons les talons à notre tour pour faire une pause pique-nique dans le kiosque de l’entrée de la réserve.

Un homme se gare à côté, jumelles autour du cou, casquette sur un crâne dégarni. Dans un mélange d’allemand, d’anglais et de polonais il nous apprend que l’eau n’a jamais autant manqué que cette année. Il nous montre une graduation que nous n’avions pas remarquée sur les poteaux de l’abri : l’eau peut monter jusqu’à 4 mètres au-dessus du sol sur lequel nous nous trouvons ! Son visage s’assombrit et il secoue la tête. « Klimat kaput, Katastrophe … Vingt ans que je viens ici, chaque année est pire ». Il nous parle de l’Est de la Pologne, plus sauvage et qu’il connaît très bien, nous montre quelques photos d’oiseaux sur l’écran de son appareil photo, compare nos jumelles aux siennes, puis reprend le volant de sa voiture en nous faisant signe par la portière.

Nous repartons peu après, cap au Sud, légèrement Sud-Est. Nous avons tracé sur la carte une grande ligne droite jusqu’à Bratislava, en passant par quelques réserves naturelles d’Europe centrale. Nous quittons Słońsk en passant par les villages de Chartów et Gronów, par de petites routes de campagne peu fréquentées.
Nous roulons dans les forêts du Sud de Osno Lubuskie où il n’est pas rare de voir des promeneurs, seau à la main, ramassant des champignons. La cueillette est apparemment plus qu’un loisir : au vu des quantités collectées, il s’agirait bien d’un petit commerce. Cela nous rassure qu’il y ait autant de monde dans la forêt : on ne craint pas les chasseurs par ici. D’ailleurs, personne ne porte de gilet fluo. C’est donc en toute sérénité que nous décidons de bivouaquer en forêt à l’occasion d’une piste qui part droit dans l’épaisseur boisée, juste après la ville de Rzepin (car toutes les aires de repos repérées auparavant s’avèrent interdites au bivouac).

Gabriel prend la tête du convoi. Quand il s’agit de trouver le meilleur coin où s’installer, on peut compter sur lui ! Son flair détecte non seulement les odeurs des animaux, vivants ou morts, mais aussi la qualité de l’humus figurez-vous ! Marine le laisse toujours implanter la tente, car il sait mieux évaluer la déclivité du terrain ou juger de l’orientation solaire. « Pas de trace de sanglier, parfait ! On met la tête ici et les pieds là ? ». Nous sommes au pied d’un vieux pin dont la base du tronc s’agenouille devant notre campement. En levant la tête jusqu’à sa cime, on voit les derniers rayons du soleil teinter les nuages de jaune puis de rose. Ils forment un motif de papier peint floral régulier et défilent doucement comme sur ces lampes de chambre d’enfant. On ne sait plus si ce sont eux ou nous qui sommes en mouvement.

5 Octobre. Nous retrouvons l’Odra à Krosno Odrzanskie au terme d’une demi-journée de lignes droites à travers les bois sur des routes peu passionnantes et ponctuées d’autels aux défunts morts sur la route. Une simple croix sur un socle où brille un lampion. Sur la première partie de la journée, il y en avait tout les cent mètres, de quoi vous faire frissonner l’échine.

Le seul banc que nous trouvons pour déjeuner est à moitié moisi, au pied d’un crucifix terrifiant devant un cimetière autrefois allemand, si l’on en croit les inscriptions en lettres gothiques de la stèle d’entrée. Ambiance mortifère aujourd’hui…

Encore un Biedronka (coccinelle en polonais) pour le ravitaillement
Les fameuses dalles de béton qui secouent à chaque joint

Nous trouvons le bivouac du soir au bord d’un étang de la réserve naturelle de Plawie. Gabriel allume le réchaud avec du bois pas très sec qui enfume toute la zone. Marine est préoccupée : avec tous les panneaux d’alertes aux feux de forêt, il ne faudrait pas que ces nuages de fumée soient mal interprétés. L’eau bout en quelques minutes, le thermos est rempli et prêt pour le dîner. La petite plage est parsemée de traces d’animaux. On reconnaît celles du Castor d’Europe qui de toute évidence sévit ici d’après les troncs de bouleaux fraîchement rongés. À 18h45 précises, un filet doré apparaît sur la surface de l’étang au soleil couchant. Ce n’est pas un canard mais bien la tête anguleuse d’un castor qui rejoint la roselière de la rive opposée. Un deuxième nage derrière lui, laissant à Gabriel le temps de s’approcher discrètement derrière un tronc et de déclencher l’appareil photo. Maintenant on sait où se trouve leur cachette ! En quelques tintements de gamelles en inox et bruit de fermetures éclair, nous sommes prêts nous aussi pour rejoindre la nôtre.

6 Octobre. Les Pinsons du Nord et les Grives draines s’animent dans les pins au-dessus de nous pendant que nous plions le camp. Nous saluons des pêcheurs matinaux, pas si loin de la hutte des castors avant de rejoindre la route principale. Elle longe plus ou moins le cours de la rivière Bóbr, en passant par Nowogrod Bóbrzanski puis bifurquons à Zagán sur la rivière Kwisa.

La journée se termine à Lawszowa dans une plantation mixte de jeunes pins et de bouleaux, qui fait probablement suite à une coupe rase récente. Nous utilisons pour la première fois le nouveau réchaud à essence car nous avons trouvé le bon liquide dans une station service : une essence raffinée qui n’encrasse pas la partie du carburateur, ce qui a détérioré notre précédent réchaud à force d’utiliser du Super sans plomb. Désormais, on prend le repas du soir à l’intérieur de la tente, parfois à la frontale selon l’heure. Bruits de sabots de l’autre côté du chemin. Peut-être une biche ou un cerf dont on a vu des traces dans la boue. La nuit tombe. L’archer Orion tire ses flèches dans un ciel d’encre qui pétille d’étoiles.

7 Octobre. On se réchauffe sur les marches du « sentier du renard » à l’entrée du village, à côté de sculptures d’ours et de loup taillées dans le bois brut. Les poules du jardin d’à côté se perchent dans les arbres. La voisine nous regarde d’un air méfiant. Ces deux cyclistes emmitouflés, assis par terre une tasse fumante à la main ont l’air louches… La journée se déroule sans encombre si ce n’est que le relief commence à se soulever.

On passe sur une passerelle étroite au niveau de Tomisław après laquelle nous sommes certains d’être encore moins dérangés par la circulation. Nous déplorons les quantités de bouteilles d’alcool dans les fossés, quasiment tous les cinq mètres, avec parfois une densité qui laisse à penser que le lieu est fréquenté par la même personne, jetant à la hâte son stock avant de rentrer à la maison. Ces mêmes flasques en verre d’eau de vie ou de vodka que l’on trouve en tête de gondole aux caisses des supermarchés, et que les clients glissent sur le tapis au dernier moment. Une petite recherche sur internet nous apprend que l’expression « Saoul comme un Polonais » n’a pas toujours été péjorative.

Nous rejoignons à nouveau la Bóbr au niveau du village de Brunów, où nous arrivons bien fatigués dans une ferme qui ouvre son terrain aux campeurs. Installée sur un canal de dérivation, cette « agroturystyka » était autrefois une ancienne manufacture liée au travail du bois, propulsée par le courant d’une petite centrale hydroélectrique. La propriétaire nous accueille à moitié en allemand, à moitié en polonais. On peut s’installer où l’on veut !

Salle polyvalente de Brzeźnik
Agroturystyka de Brunów
Moineau friquet

8 Octobre. Le paysage change radicalement : les montagnes de la frontière tchèque se rapprochent et on ne pourra pas y couper. On aurait pu s’épargner les pentes supérieures à quatorze pourcent du village perché de Radomice mais le point de vue en valait la peine. Et puis on a pu refaire le plein de pommes sauvages dont regorgent les fossés. Les sangliers doivent s’en rouler par terre la nuit venue ! Nous arrivons à Jelenia Góra, notre dernière étape polonaise, pour se ressourcer au camping avant d’attaquer le col de Horní Malá Úpa …

2 réflexions sur “22 – Świnoujście > Jelenia góra (km 8727 – km 9330)”

  1. Pat/Zoé Papillon

    Dommage ! À la fin de chaque épisode j’ai envie de lire la suite 😂
    Au fait : c’est un peu tard puisque maintenant vous êtes en Italie mais il y a une application Google qui est parfaite pour traduire en direct le menu du restaurant ou les étiquettes de fromage blanc : Lens
    Il suffit de pointer sur le texte et ça affiche la traduction…
    Bonne suite de voyage, c’est toujours un plaisir de vous lire !
    Patricia

  2. Merci Patricia ! On a utilisé ce formidable outil de traduction automatique, mais ça ne fonctionne pas sans internet. Sans réseau, on est parfois obligés de se lancer sans savoir vers une aventure mozzarelle 😆
    Maintenant en Italie on comprend l’essentiel, même si la connaissance de Marine dans cette langue se borne aux chansons de Laura Pausini, et celle de Gab à ce qui se mange et se prononce pareil qu’en français !

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