- 2022/10/21 Bratislava – Podersdorf, 63 km : Arrivée au lac de Neusiedl
- 2022/10/22 Podersdorf – Paumhagen, 40 km : Bivouac pimenté en Autriche
- 2022/10/23 Journée avec Markus et Franzie
- 2022/10/24 Paumhagen – Kőszeg, 58 km : Cap des 10 000 km en Hongrie
- 2022/10/25 Kőszeg – Rönök, 67 km : Dans une cabane de terre et de paille
- 2022/10/26 Rönök – Krašči, 50 km : Arrivée en Slovénie
- 2022/10/27 Krašči – Ptuj, 56 km : Ptuj ville thermale
- 2022/10/28 Ptuj – Medvedece, 20 km : Le réservoir
- 2022/10/29 Medvedece – Goricica, 49 km : Rencontre avec Ingrid et Nicolas
- 2022/10/30 Goricica – Lukovica, 69 km : Bivouac à l’Allemande
- 2022/10/31 Lukovica – Senožeče, 76 km : Oies nocturnes
- 2022/11/01 Senožeče – Koper, 35 km : Perchés dans une oliveraie
- 2022/11/02 Koper – Trieste 20 km : Saut dans le train pour Monfalcone
21 Octobre. Bratislava aurait mérité que l’on s’y arrête un peu : la ville a l’air moderne, bien aménagée. Une grande zone piétonne pavée nous mène tout droit dans un grand complexe commercial où l’on essaie de faire changer la veste de Gabriel au Décathlon. La fermeture éclair s’est cassée en quelques mois d’utilisation intensive. Sans succès, faute de retrouver la preuve d’achat. Gabriel est donc pour le moment contraint de l’enfiler comme un pull. Après cette contingence matérielle qui nous a fait perdre un peu de temps sur notre matinée, nous traçons une grande ligne droite plein Sud à travers la ville pour gagner la frontière autrichienne. Bratislava, ce sera pour une autre fois. Nous aurons tout le loisir de visiter les capitales européennes quand nous serons vieux, retraités (si le principe existe encore dans quelques quinquennats), et que nos convictions pour voyager sans polluer se seront étiolées. Les cités que les hommes ont construites seront encore debout quand il n’y aura plus d’oiseaux dans le ciel !
Adieu les rives du Danube ! Au programme, nous avons des champs de betteraves à traverser, des hectares plantés d’éoliennes à arpenter, du vent de face à affronter ; et enfin une dernière côte dans les vignes jaunes à remonter, avant de découvrir la surface étincelante du lac de Neusiedl. Nous abordons cet immense lac -le deuxième d’Europe centrale après le lac Balaton en Hongrie, par la rive Est, dont une grande partie est classée en parc national. Les roselières bordant le lac sont si vastes que l’on aperçoit l’eau du lac uniquement en prenant de la hauteur depuis les observatoires qui ponctuent l’itinéraire cyclable. Quelques busards Saint-Martin surgissent au-dessus des roseaux puis s’envolent vers les prairies, les Tariers pâtres se perchent. Notre première surprise est de voir des Corneilles noires parmi les Corneilles mantelées. La noire est très commune à l’Ouest de l’Europe. Elle est remplacée à l’Est et en Scandinavie par sa cousine au manteau gris. En jetant un œil à l’aire de répartition de ces deux espèces, nous réalisons que nous nous trouvons exactement sur la limite. Cela faisait depuis le mois d’Avril que l’on n’en voyait plus !
Il nous reste peu de temps avant la tombée du jour alors nous écourtons la pause dans le dernier observatoire pour filer au camping de Podersdorf. Hors de question de risquer une amende en Autriche pour un bivouac. L’entrée a des allures de vieux bâtiment de douanes avec son porche démesuré. On comprend à la dimension des parcs de stationnement et à la capacité d’accueil du camping que la fréquentation estivale doit être insupportable. En réalité, elle s’amenuise. Pour cause : l’assèchement de ce lac peu profond, très dépendant des précipitations, ne permet plus d’activité de baignade ni de loisir nautique. Nous étions préparés psychologiquement au prix exhorbitant d’un camping autrichien, mais pas au petit résidu de parcelle coincé entre la voie de desserte et la route communale, le plus éloigné de la rive du lac. Les emplacements pour les tentes sont bien souvent des parcelles au rabais, la clientèle à privilégier étant celle logeant dans des mobil-homes, en caravane ou en camping-car. Le spectacle de tous ces emplacements artificialisés est désolant ; les campings sont devenus de grands parkings… Qu’importe la silver economy, qu’importe les boomers en frigo, la meilleure nouvelle de la journée est que les douches sont chaudes et à volonté ! Un Hibou moyen-duc pousse son « hou » monotone dans la nuit, perché sur un des platanes avant de s’éloigner dans la lumière orange des lampes à sodium.
22 Octobre. Nous avons reçu une réponse de Markus qui pourra nous accueillir chez lui au Sud du lac ce soir. Cela nous permet de prévoir une journée complète dans le parc national sans avoir à atteindre la frontière hongroise en hâte pour le bivouac du soir. Merci le réseau Warmshowers ! La pluie devrait arriver en début d’après-midi, il s’agirait de se trouver à l’abri à ce moment-là. Nous progressons donc d’observatoire en observatoire, à la découverte des roselières et du biotope particulier du lac de Neusiedl. Bien qu’éloignées de la mer, les zones humides du Neusiedl sont alcalines, la salinité provenant de la période où la zone était au fond de l’océan. Dès le premier arrêt, nous apercevons un groupement d’Oies cendrées et d’Oies rieuses. Mais elles sont loin et l’épaisseur de prairie qui nous sépare d’elles est interdite d’entrée par la signalétique du parc national. Il y a pourtant quelques personnes en gilet orange fluo qui trafiquent dans la zone de quiétude… Paradoxalement, les huttes de chasse sont bien plus nombreuses que les plateformes d’observation.
Les zones bleues de notre carte, de petits lacs à l’Est du grand lac sont complètement à sec : des cuvettes peu profondes craquelées au fond clair laissé par le sel et le calcaire des coquilles. Le seul limicole que nous apercevons est un Courlis cendré. Du côté des passereaux ça bouge un peu plus : Bruants jaunes, Bruants des roseaux, linottes mélodieuses, Alouettes des champs, Pipits farlouses… Et nous avons la surprise d’entendre chanter un Pouillot de sibérie dans les églantiers ! Un pouillot en tout point semblable au Pouillot véloce, très commun, mais qui trahit son origine lointaine par son chant.
Le ciel se couvre, on décide de se rapprocher de la maison du Parc où l’on trouvera refuge pendant la pluie. Direction Illmitz donc, sans faire de pause sur les autres points d’observation. Nous sommes chaleureusement accueillis dans l’espace d’exposition de la maison du parc. On nous explique les enjeux liés à la flucuation des niveaux d’eau et la difficulté qui en découle de concilier les activités de l’industrie touristique, les besoins de l’agriculture, et la préservation de la biodiversité. Une des guides nous conseille d’explorer certaines zones au Sud sur la frontière hongroise, plutôt que celles qui se trouvent à l’Est, particulièrement sèches. On laisse passer la pluie le temps d’un sandwich pris sur la terrasse pédagogique abritée, devant les fresques colorées représentant les oiseaux présents dans la réserve, dont l’Outarde barbue, symbole du Parc.
Prochaine destination : le petit portd’Illmitz où l’on aurait plus de chance de voir des oiseaux sur l’eau ou dans les roselières. Un aller-retour de près de dix kilomètres pour voir trois Goélands tout au plus. Chou blanc. Le lieu est baigné d’une atmosphère singulière avec un ciel blafard au-dessus d’une eau laiteuse, et ces paillottes dispersées sur le gazon. On rebrousse chemin pour s’enfoncer maintenant vers le lieu-dit de Sandeck où l’on a des chances de voir les fameux ânes blancs du parc. Une espèce rustique introduite parmi d’autres pour entretenir naturellement les prairies. « Sandeck », on aurait dû se méfier : ça veut dire « le coin du sable ». Une centaine de mètres à pousser nos mules dans la route sablonneuse… Mais pour arriver devant les ânes blancs blottis contre la roselière ! Ils sont là, avec leur museau trappu et leur air aussi triste que celui des ânes gris derrière une clôture. On entend les Grues cendrées en arrière-plan, postés sous le auvent d’une grange crépitée de pelottes de réjection noires. Le nichoir fixé là-haut ressemble bien à celui que l’on prévoit pour les Effraies des clochers. Le crachin s’interromp brièvement et nous profitons de l’accalmie pour remonter sur nos vélos. La route est gravillonée sur le reste du parcours, ouf. Un message à Markus : nous devrions arriver avant le coucher du soleil.
Le soleil rase les vignes des derniers kilomètres du parcours, embrasant tout de rouge écarlate avant de disparaître de l’autre côté de la Terre. Il fait sombre en arrivant à Paumhagen. On distingue à peine Markus qui nous fait signe au bout de la rue, posté devant son portail avec deux autres hommes. Nous échangeons une vive poignée de main pour nos présentations et il nous conduit directement dans son jardin. « J’ai pensé à un endroit qui pourrait vous plaire pour poser votre tente, une de mes serres n’est pas complètement occupée ». Markus est maraicher biologique, spécialisé dans les semences de piments extra forts. Nous dormirons à côté d’une partie de la récolte, protégés de l’humidité par la grande membrane translucide de ce tunnel de plastique.
Le lendemain matin, Markus nous offre un café chez lui pendant lequel nous feuilletons un guide naturaliste de la région. Il y a certaines zones dont les agents du parc nous ont parlé, comme les prairies steppiques de l’Est de la réserve. « On pourrait faire un tour ensemble ? Je vous emmène en voiture » nous propose-t-il tout de go. Nous laissons donc nos jambes au repos sur les sièges de l’utilitaire de notre hôte, accompagnés de Franzie, sa petite chienne noire qui est autorisée à sortir du véhicule et courir derrière quand les routes le permettent. Elle est si rapide et vigoureuse qu’on l’a surnommée « Crazy Franzie ». Notre première halte se situe de l’autre côté de la frontière, en Hongrie où nous scrutons les champs en quête des grues qui se rassemblent ici en ce moment. Quelle joie de les retrouver ! Nous pensions avoir quitté la route des Grues cendrées en passant de l’autre côté des montagnes tchèques. Il faut croire que nous croisons un autre couloir car elles sont massées ici par milliers.
Nous déjeunons côté hongrois près du château de Fertod, lieu de villégiature de l’impératrice Sissi, avant de repartir en pleine campagne. Nous avons eu la chance d’observer depuis la voiture deux femelles d’Outardes barbues avant qu’elles aillent se cacher dans les herbes hautes. Chose qui n’auraient peut-être pas pu avoir lieu en pédalant car les vélos les effraient bien plus que les voitures ! Notre « safari » se poursuit sur le chemin du retour sur d’autres prairies steppiques qui pourraient être favorables, pour terminer dans un petit bar sympathique avec des amis rencontrés en chemin. Nous faisons un dernier crochet vers l’enclos des bisons du coin. Des individus en captivité, mais c »est la première fois que nous voyons « en vrai » . Nous remontons à nouveau notre tente pliée le matin-même alors qu’on pensait juste prendre un café avec Markus. Une journée bien remplie… Franzie est aussi fatiguée que nous. Elle trouve le chemin vers son panier, et nous vers notre serre pimentée !
24 Octobre. Nous quittons Markus et Franzie, pleins de gratitude pour ces moments passés ensemble. Il y a des chances que l’on se revoit, car notre hôte voyage de temps à autre dans les régions karstiques en quête de cavités à explorer. Dingue de spéléologie et d’aventures en montagne, il se plairait sûrement dans le Vercors. Nous passons le cap symbolique des 10 000 kilomètres en repassant en Hongrie, du côté du village de Lövo, et trouvons un bivouac à la sortie de Koseg, au pied d’un taillis qui nous sert de pare-vue. Nous faisons fuir les chevreuils au bout du champ et les retrouvons quasiment au même endroit le lendemain.
25 Octobre. Nous slalomons de part et d’autre de la frontière austro hongroise, sur l’itinéraire cyclable du « rideau de fer ». Côté autrichien nous faisons sécher la tente sur un observatoire panoramique délabré, oubliant au même moment de prêter attention à l’éclipse solaire partielle. On grimpe sur la colline de Heiligenbrunn et découvrons un village de vignerons aux toits de chaume qu’il aurait été dommage de manquer par flemmardise. Le dénivelé en valait la peine !
Nous basculons côté hongrois à temps pour rechercher un bivouac et tombons nez-à-nez avec un couple et ses enfants embourbés sur le bas côté. Ont-ils besoin d’aide pour pousser ? Non, c’est juste une panne, ils attendent des nouvelles de l’assureur. On bifurque à ce moment-là dans la forêt. Essai non concluant car cet endroit a tout l’air d’être une autoroute à sangliers. On en ressort tout crottés quelques minutes plus tard. Et il y a une nouvelle personne à côté de la voiture qui nous lance en plaisantant quelque chose qui pourrait se traduire comme ça : « c’est pas le meilleur endroit pas vrai ? ». On explique qu’on n’avait pas l’intention de s’enfoncer plus que ça dans ce bourbier, et qu’on cherche un endroit pour planter notre tente. « Vous pouvez venir à la ferme, j’habite juste au bout de la route, après la chapelle ». On n’en attendait pas autant !
C’est ainsi que nous nous sommes retrouvés chez Walter et Line, deux belges installées en Hongrie pour élever des vaches et produire du fromage. Assis à même le sol dans leur maison de terre et de bois, nous partageons un thé et quelques dés de fromage sec avec leurs amis venus de Vienne, ceux justement qui sont tombés en rade à quelques centaines de mètres de leur destination. Walter nous propose de dormir dans l’annexe qu’il a construite derrière l’étable : une ravissante chaumière en terre ! Nous aidons à ramener les vaches puis assistons Line pendant la traite du soir. Elle porte sa petite Louisa sur le dos, appelle ses vaches une à une en chantonnant, remplit les gamelles de granulés de luzerne mélangés à une mélasse vitaminée, et branche les trayeuses sur les pis préalablement rincés à l’eau bien chaude. Louisa s’endort dans le ronronnement de la pompe, dans la pénombre balayée par la lampe frontale de Line, et la chaleur des vaches.
26 Octobre. Nous laissons à Line et Walter une carte illustrée en remerciement de notre séjour chez eux et choisissons une belle portion de fromage aux noix dans leur boutique. Ravitaillement à Szentgotthard en fin de matinée, une ville thermale installée sur la rivière Raba. C’est la dernière ville de Hongrie que nous traversons alors nous en profitons pour faire une pause café sur une des terrasses du centre. Nous trouvons plus loin une aire de jeux avec de l’eau potable, parfaite pour la pause de midi, et aussi pour prendre des forces avant le col qui nous attend sur la frontière slovène.
Nous remontons le torrent Torok-Patak en zigzaguant sur la route pour atténuer le dénivelé parfois bien élevé. La pente est plus douce en arrivant au col où nous hissons un nouveau pavillon en remplacement du drapeau hongrois. Marine vérifie quand même sur internet pour éviter de mettre le drapeau slovaque à la place du drapeau slovène car la confusion est possible. Nous découvrons de l’autre côté des paysages cultivés, peu urbanisés avec de drôles de poteaux électriques : de simples troncs écorcés. Nous rejoignons le cours de la rivière Ledava pour échouer sur les rives d’une grande retenue d’eau où nous attendons le départ des derniers pêcheurs pour planter la tente.
27 Octobre. la brume du matin se dissipe, les canards et les Grèbes huppés s’éloignent en voyant nos silhouettes sortir de la tente. Quelques Grandes aigrettes se déplacent dans un vol souple. Cap au Sud Est en direction de Ptuj, ville thermale à flanc de colline sur la rive de la Drava. Nous trouvons de l’autre côté un camping bienvenu car cela fait quatre jours que nous n’avons pas pris de douche. La réception est fermée, il faut s’adresser à celle du palace quatre étoiles d’à côté. Marine attend son tour dans le Hall de marbre gigantesque, derrière un couple en séjour spa « all inclusive », un standing légèrement éloigné du nôtre. Papiers d’identité, ticket de caisse, reçu, facture, papier à présenter en évidence sur la tente en cas de contrôle… Beaucoup de paperasse pour planter quatre sardines sur un bout de gazon !
28 Octobre. Nous trainons jusqu’en début d’après-midi sur notre lopin de location. La tente est repliée mais notre linge sèche encore et nous prenons le temps de bichonner les vélos. On peut même les rincer à l’eau chaude avec la douchette prévue pour nettoyer les chiens, grand luxe. Nous prévoyons une demi-étape pour arriver en soirée sur les bords du lac de Medvedece : une trentaine de kilomètres sans trop de relief. Nous avons la sensation de quitter la ville par la petite porte, en partant par les jardins de l’hôtel puis par une route secondaire où ne nous croisons que très peu de voitures. En arrivant sur le lac, nous n’avions pas envisagé un détail : il est cerné d’un profond fossé que l’on ne franchit que par une passerelle et deux escaliers. Mission impossible avec les vélos chargés. Il faut tout enlever pour transférer nos affaires de l’autre côté. Mais en récompense nous avons un endroit idéal pour passer la nuit, avec les cormorans et les aigrettes perchés sur les vieilles souches émergées du lac. Les nénuphars gisent sur la vase, les roseaux ont les pieds au sec… On sent bien encore une fois que la sécheresse fait des dégâts partout plus on va vers le Sud. Néanmoins le niveau d’eau semble convenir aux Grèbes huppés, aux Oies cendrées et aux Grandes aigrettes que l’on observe en quantité à côté des Hérons cendrés et des Grands cormorans. Un groupe de Bécasseaux variables est venu égayer l’assemblée dans un vol synchrone, tel un banc de poissons se déplaçant à toute vitesse et virant de bord brusquement. On retrouve également les Panures à moustaches, que nous n’avions pas observées depuis que nous avons quitté la Pologne !
29 Octobre. Une étape plus corsée nous attend aujourd’hui : le profil altimétrique est en dents de scie. Nous nous ravitaillons pour commencer à Slovenska bistrika, de l’autre côté de l’autoroute reliant Maribor et Ljubjana, dont nous nous écartons pour foncer dans les montagnes. Nous prenons de la hauteur et apprécions de plus en plus le relief que nous redoutions pourtant avant de passer la frontière slovène. Quand on y va à notre rythme, on y arrive ! Nous faisons la rencontre improbable de Ingrid et Nicolas, en randonnée cycliste avec leur deux enfants et découvrons en discutant que nous avons un ami en commun près de chez eux, à Mouthe. Le monde est petit. Il est près de seize heures quand nous décidons de nous remettre en route car ils ont encore une vingtaine de kilomètres à parcourir jusqu’à l’hôtel et de notre côté, il nous reste à trouver un endroit où dormir. Les petits lacs sur lesquels nous avions parié s’avèrent inhospitaliers alors nous poursuivons en regardant de droite à gauche, puis de gauche à droite, scannant la moindre opportunité : un chemin de terre sans habitation au bout, un champ non cultivé… Mais rien de tel ne se présente. En pleine descente nous remarquons une grande halle en bois à l’écart de la route. On dirait une salle des fêtes. Marine demande aux voisins s’il est possible de s’y installer (avec l’aide d’un traducteur en ligne). Un homme rondouillard en bottes passe un coup de téléphone à la personne responsable du lieu et nous confirme que nous pouvons rester. Hourra !
30 Octobre. Nous descendons de nos collines pour rejoindre la rivière Savinja en passant par Cejle, puis Zalec sur de grandes lignes droites parallèles à une des autoroutes principales du pays. On reçoit les encouragements d’une famille à bord d’un van qui nous fait de grands signes par les fenêtres. Ça aide dans ce genre de portions mornes et fréquentées. Ici les champs sont hérissés de poteaux supportant un système d’irrigation aérien ainsi qu’une maille permettant de faire pousser des plantes grimpantes. Cela façonne un curieux paysage, un peu comme les immenses séchoirs à poisson en Norvège, mais en plus haut ! Nous marquons une pause à Vransko, au début d’une longue côte redescendant sur Ljubjana, la capitale. Nous étudions le dénivelé pour la suite de la journée sur les sièges en plastique moulés de la tribune du terrain de foot où s’entrainent des garçons.
L’ascension se passe sans encombre, chacun de nous concentré sur son effort, jusqu’au point culminant où nous remettons quelques couches pour supporter la descente. Nous prenons de la vitesse dans une vallée plutôt encaissée où les possibilités de bivouacs sont minces. On s’arrête plusieurs fois lorsque notre intuition nous faire pressentir une piste. Sans succès. On poursuit notre descente, en se rapprochant de la capitale. Alors que l’on commence à s’inquiéter de ne rien trouver, un motard nous dépasse puis ralentit pour se mettre à notre allure. En quelques mots échangés, il a compris tout le chemin que nous avons parcouru et nous fait un grand pouce. Il accélère puis revient à notre hauteur. « Je tiens un bar où vous serez les bienvenus, je vous offre une bière ou un café, venez à Tchernouchè ». On le remercie, et Marine essaye de ne pas oublier le nom du café et celui du village (en phonétique), dans l’hypothèse où se serait sur notre route du lendemain.
Nous perdons un peu de vitesse à Lukovika, où nous étudions de plus près les images satellites pour tenter de se trouver un bout de forêt. Nous tombons sur un boisement de hêtres comme on les aime, « à l’allemande » car ils nous remémorent nos nombreux bivouacs du mois de Mars sur les tapis de feuilles de hêtre. Une valeur sûre pour les bivouacs, car le parterre est souvent dégagé et bien matelassé. Nous rencontrons quelques promeneurs de chiens que nous revoyons d’ailleurs le lendemain matin sur le même parcours.
31 Octobre. La surface aplatie par notre campement est balayée d’un coup de branche pour ne laisser aucune trace. Nous faisons un crochet par le bar de Tchernouchè, qui s’écrit en réalité bien différemment, mais que nous avons réussi à trouver sur la carte. Une des serveuses parle français et nous accueille gentiment. Le patron n’est pas là mais elle s’informe auprès de lui par téléphone et nous prépare deux cafés au lait que l’on savoure d’autant plus que la nuit a été bien fraiche. Nous sommes à la périphérie de la capitale, dont nous atteignons le petit centre pavé et coloré après une surface ininterrompue de zones commerciales et pavillonaires. Intrus parmi les piétons, les touristes attroupés, les mangeurs de glace, nous tortillons du guidon pour nous frayer un chemin vers la grande plaine du Sud de la ville, de grandes prairies inondables réputées pour être riches en avifaune.
Nous trouvons un observatoire au milieu de la réserve naturelle près du village -nommé Brest, après de longues lignes droites perturbées par les travaux de voirie et de canalisation. Nous retrouvons notre élément au bout d’une passerelle en bois au-dessus d’un niveau d’inondation qui doit être atteint hors saison sèche. Une petite plateforme au soleil fera la plus apaisante des pauses pique-nique après cet épisode urbain. Une Bécassine passe, une femelle de Busard Saint-Martin part en chasse puis reste un moment au sol. Le soleil remplit nos batteries avec les panneaux solaires suspendus à la treille de l’observatoire.
Marine contacte un camping situé à une distance raisonnable pour s’assurer qu’il est ouvert. Nous dormirons à Laze ce soir. Aucun rapport avec la chanson de Polnareff « Le bal des Laze » mais il n’en faut pas plus pour que la mélodie accompagne nos coups de pédale jusqu’au village perché sur un éperon de calcaire. Le relief, la végétation, les rochers de calcaire affleurant : tout nous rappelle le Vercors.
Ce sont nos derniers jours en Slovénie et nous tenions à répertorier quelques granges traditionnelles du pays. Sur piliers maçonnés ou en bois, la grange slovène est dépourvue de murs. Les traverses horizontales des façades forment des espaliers faits pour y charger le foin en vrac. L’étage représente un volume plus petit, souvent ajouré par des croisillons en bois. À l’heure de la mécanisation de la fauche, ce système n’a plus vraiment de raison d’être ; cependant, on trouve encore par endroits des granges et des abris où l’on sèche et stocke le foin à l’ancienne.
1er Novembre. Nous sommes à court de provisions et tout est fermé en ce jour férié. Il ne nous reste plus qu’à trouver un restaurant. Nous nous contenterons d’un des seuls snacks ouverts à Postonja où la portion était si maigre pour nos estomacs de pédaleurs, que l’on a complété par ce qu’il nous restait au fond des sacoches. Nous trouvons notre bivouac à Senožeče dans un champ en retrait de la route que nous atteignons en traversant un ruisseau à sec. Vivement que les magasins ouvrent de nouveau car nous avons tout juste de quoi dîner ce soir.
Comme souvent nous dormons par intermittence, et cette nuit-là nous entendons passer dans le ciel un vol d’Oies rieuses. Se rendent-elles aussi sur la côte de l’Adriatique ?
2 Novembre. Marine avait proposé un détour dans la réserve naturelle de Koper, qui rallonge considérablement notre itinéraire vers l’Italie. Croisons les doigts pour qu’on y retrouve les oies ! La matinée commence dans un nuage, sous lequel nous passons pour découvrir maintenant des coteaux secs plantés de chênes et d’herbes aromatiques qui sentent le Sud. Nous descendons à toute vitesse vers la côte, et apercevons l’horizon flou de la mer. Avec une certaine émotion : nous venons de relier la Baltique à l’Adriatique !
On slalome entre la frontière slovène et italienne, pour amorcer une descente vertigineuse sur les rues raides et pavées d’un village accroché à la pente. On se dit en arrivant en bas qu’on n’aurait jamais pu le faire en sens inverse !
L’arrivée sur Koper met fin à notre épisode de montagnes tranquilles. Place maintenant à une zone industrialo-portuaire immense, à des marées de voitures neuves en transit, des conteneurs empilés, des hangars, des cuves énormes, des zones commerciales à parking et ronds-points, et ses échangeurs routiers où nous perdons le sens de l’orientation. La bonne nouvelle c’est que les supermarchés ne manquent pas. La moins bonne c’est que la réserve naturelle -pour laquelle Marine avait insisté même si cela signifiait deux cents kilomètres de détour, est à quelques centaines de mètres de tout ce bazar, coincée entre l’autoroute et la zone industrielle.
Si l’on fait abstraction du contexte et du bruit de la circulation la zone humide est plutôt pas mal. Mais ça ne valait pas un si grand détour. On y fait un tour rapide, en laissant nos vélos en sécurité à l’accueil, jumelles autour du cou, longue-vue sur l’épaule. On sursaute à chaque fois que les Bouscarles de Cetti se manifestent. Elles éclatent en note sonores comme si elles s’étaient retenues de chanter toute la journée. Nous cherchons les Rémiz penduline qui poussent leur cri plaintif dans les roselières, avec en arrière-plan les conteneurs du port.
l’heure tourne, nous devons récupérer les vélos avant la fermeture du centre d’accueil de la réserve et trouver un bivouac sans trop tarder. Une chose est sûre, c’est que nous devrons pédaler beaucoup pour trouver un coin tranquille. La colline la plus proche, sous l’antenne de télécommunications ? Pari risqué si l’on regarde les vues satellite : les flancs sont entièrement cultivés et il y a des constructions jusqu’au sommet. On décide de retourner sur une portion uniquement cyclable par laquelle nous sommes venus, la garantie qu’il n’y aura pas de fréquentation la nuit.
Pas simple de trouver un endroit plat dans ce relief comprimé devant la mer. Tout est raide de part et d’autre de la voie cyclable. Un chemin en rampe raide en part. Gabriel part explorer là haut un bon quart d’heure et nous dégote une terrasse avec vue dans une vieille oliveraie envahie de genêts ! Par contre, tout se mérite : l’accès est si difficile qu’il faut s’y prendre à deux par vélo pour le hisser jusqu’au champ.
2 Novembre. Nous rejoignons la gare de Trieste pour y prendre le train régional pendant vingt minutes, dans l’idée de nous épargner la route côtière très urbanisée. Nous descendons au premier arrêt, à Monfalcone, où nous reprenons les vélos en direction d’une nouvelle réserve naturelle.
Vous êtes vraiment courageux. Mais vous êtes visiblement bien accueillis par les populations, c’est très rassurant. Ce qui est très rassurant aussi c’est de constater que les aménagements pour cyclistes et pour amoureux de la nature me paraissent plus développés que chez nous.
Nous avons fait de belles rencontres, parfois avec Warmshowers, ou au hasard, et ressenti beaucoup de bienveillance de la Slovaquie à l’Italie.
Bien qu’émerveillée par votre voyage, je ne peux m’empêcher de me réjouir de sentir que vous vous rapprochez de chez nous !!! A bientôt !!! Hélène
Coucou Hélène ! Nous ne sommes plus qu’à 200 kilomètres de la maison, ça fait tout drôle de retrouver notre aire d’hivernage. Plus que quelques coups d’ailes… Euh, de pédale ! Pleins de bises !!!
On voyage avec vous.. de beaux paysages toujours et des milliers de coups de pédales. Bravo.
Isère ornitho : « invasion » de mouettes tridactyles et aussi dans d’autres régions intérieures suite à de violentes tempêtes. Beaucoup ont péris et les autres sont à la peine si loin de leurs côtes..Bises. Bénédicte et Thierry.
Merci Thierry ! Nous aurons peut-être l’occasion de voir les Mouettes tridactyles sur le chemin du retour. Si elles survivent…. Nous sommes déjà à Apt. Tous les cours d’eau du Sud sont à sec !
Toujours super, votre périple, j’ai hâte d’entendre votre récit de vive voix.
Et puis, j’espère que lors de vos longues soirées de camping, vous avez pu jouer à » bison-vol « …pauvre bête !
Bisous
Gilles
On a bien hâte de te revoir nous aussi, Gilles ! Tu pourras nous apprendre bison-vol, ça manque à notre culture. Pleins de bises !!!